Protocoles

Les protocoles sont source de contrariété pour les médecins qui sont sur le terrain. Nous avons à gérer l’intervention, ce qui n’est pas toujours facile, et remplir un tas de paperasse. Je dis « un tas », parce que c’est le cas le plus souvent.

Pour commencer, il me parait déplacé de passer plus de temps à remplir des documents que de s’occuper des patients. Mais il y a parfois plus grave… Je vais vous raconter une vieille histoire qui m’a mis un peu de plomb dans la cervelle :

Il y a quelques années, un protocole sur l’arrêt cardiaque nous obligeait à remplir un dossier tellement long et précis, que je me suis retrouvé à diriger la réanimation depuis un fauteuil, après avoir intubé la patiente. Je donnais des instructions et notais scrupuleusement toutes les données sur tout un tas de pages… quand le mari s’est approché de moi pour demander comment cela se passait pour sa dame. Je lui ai répondu assez sèchement que je passerai le voir un peu plus tard. Mais au fond de moi, j’ai pensé − et j’en ai un peu honte − « Merde, Papy, fous-moi la paix, tu vois pas que j’ai plein de trucs à faire, non ? Vas jouer plus loin, j’ai pas le temps là… ». Je vous jure que même si je n’ai pas pensé précisément ces mots, c’était de cet ordre-là.

Je suis allé le retrouver quand tout a été terminé. J’étais satisfait de mon travail « scientifique », de ma collaboration à l’avancée des connaissances, mais j’allais revenir à la réalité. Sa femme était bien morte, et je me suis comporté comme un sale con avec ce brave monsieur, jusqu’à ce que j’aie fini de faire mon scientifique méthodique. J’ai bien essayé de rattraper le coup, mais c’était trop tard. Pour moi. J’ai gardé assez longtemps de la rancœur envers la « science » et les « scientifiques » après cette histoire. Mais cela m’a quand même permis d’avancer sur l’analyse de mon métier, et la façon de l’exercer.

Car le plus souvent, le seul intérêt de notre présence dans le cas d’un arrêt cardiaque, est d’apporter un petit soutien, un réconfort dans le meilleur des cas, par juste… notre humanité. Ce putain de protocole m’avait transformé en robot déshumanisé. Depuis, je fais plus gaffe à mon comportement…

Tout ça pour dire quoi ? Que mesdames et messieurs les scientifiques faiseurs de protocoles, prenez garde à ce que vous nous demandez, à nous les petites mains. Faites en sorte que vos protocoles soient simples et ne pervertissent pas notre pratique.

Et si possible, faites-nous comprendre ce que vous voulez faire aussi… Par exemple, il y a actuellement un protocole très simple à réaliser − puisqu’il consiste en tout et pour tout à faire une prise de sang et coller une étiquette − mais que je ne comprends pas. C’est le protocole CARTAGENE. Son intitulé : recherche de marqueurs génétiques dans la mort subite inexpliquée de l’adulte de 18 à 75 ans. J’ai déjà écrit que je ne comprenais pas l’intérêt de la chose, mais tout le monde fait comme si je n’avais rien dit. Donc je vais insister : comment retrouver un marqueur génétique de la mort subite sans faire systématiquement une autopsie de chaque mort étudié afin d’éviter des erreurs grossières comme l’embolie pulmonaire par exemple, qui peut être liée à une multitude de facteurs ? Bref comment éliminer tous les facteurs extérieurs ?

Et ensuite, quand bien même il y aurait un réponse, qu’en ferait-on ? Prédire aux gens qu’ils risquent de mourir… entre 18 et 75 ans… après avoir pris l’empreinte génétique de toute la population ? Leur proposer… de faire attention, ou bien de se faire changer les séquences génomiques défectueuses ? Ou alors en faire un paramètre pour les assureurs ?

En attendant d’avoir des précisions acceptables, je refuse de faire ce protocole, parce que je refuse de faire ce que je ne comprends pas et qui me parait sans intérêt. Même si le protocole est simple à réaliser pour nous.

Mon avis est que cela fera de la matière pour publier… Car même si une étude n’apporte rien − ce qui sera probablement le cas pour celle-ci − cela n’empêche pas de publier que l’étude n’a rien apporté… Et ce qui compte pour une carrière, et pour le budget de l’hôpital, n’est pas la qualité des publications, mais leur quantité.

Mais je me trompe peut-être…

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