Arrêt cardiaque : y a-t-il un pilote dans l’avion ?

Il n’existe actuellement aucun critère clairement défini d’abstention à la réanimation de l’ACR (Arrêt Cardio-Respiratoire). C’est à chacun de décider de sa pratique. Or, il me semble que le problème est un problème de société, et non un problème à traiter de manière individuelle, selon l’état d’esprit du médecin réanimateur (pouvant aller de l’interventionnisme acharné au fatalisme exagéré…).
Il n’en demeure pas moins que des critères existent quand même, et relèvent du bon sens : mauvais terrain général (cachexie d’un cancer évolué, par exemple), et âge avancé.

Ce dernier critère est très variable. La question est : doit-on laisser ce problème à la conscience de chaque intervenant, ou doit-on essayer d’établir une pratique raisonnable ?

On apprend en secourisme que « l’urgence ça se prépare », or sur la question qui nous intéresse, on est en situation d’improvisation. Il ne me semble pourtant pas absurde de poser la question que chacun se pose en situation pratique : jusqu’à quelle limite d’âge est-il raisonnable de réanimer ? Pourquoi ne pas faire une enquête auprès des réanimateurs extra et intra-hospitaliers (ou un échantillon…) qui connaissent les enjeux d’une réanimation chez le sujet très âgé ?
L’objectif n’est pas d’être minimaliste avec un consensus, mais d’étudier un problème qui pourrait déboucher sur une facilitation de la pratique et une éducation — vraiment nécessaire me semble-t-il — de la population.
Sur le premier point, on l’a vu, le médecin (en particulier le jeune médecin) ne traiterait pas le problème avec sa seule conscience, et sur le second point, il me semble que la population aurait intérêt à se soucier de la vie plutôt qu’être obnubilée par la survie à tout prix. Les gens acceptent de moins en moins la mort, même à des âges très très avancés, et — corollaire fâcheux — en vivant comme s’ils étaient éternels. Le problème est philosophique, mais le médecin n’est pas seulement un technicien se posant la question de comment réanimer ; il doit aussi être un humaniste et se poser la question : pourquoi réanimer ?

Nous pouvons aussi laisser les choses continuer en faisant comme si le problème n’en était pas un, mais il faudra, un jour ou l’autre, être au clair sur ce sujet.
Et c’est peut-être aux spécialistes de l’arrêt cardiaque de proposer une réponse avant que des philosophes, ou même des économistes ne s’en chargent, en pointant du doigt une pratique irréfléchie de notre part.

Je vous joins ce que m’a inspiré une affaire de la semaine dernière sur ce sujet, et dont je viens de reprendre les grandes lignes.

Introduction

La médecine moderne a tendance à ne regarder que le progrès immédiat et chiffrable.

Dans la RCP (Réanimation Cardio-Pulmonaire), on s’intéresse aux délais, aux protocoles, aux effets de traitements divers. On s’intéresse aux résultats, et on tente d’occulter ce qui dérange.

Il me semble que la question la plus essentielle est : Pourquoi réanimer ?

Bien sûr tout le monde sait que la mort est un phénomène naturel — qui donne son sens à la vie, disent les philosophes… — mais que nous avons du mal à accepter s’il n’est pas dans l’ordre des choses ; l’ordre des choses, pour un humain moyen, c’est de mourir « vieux ».

Cela justifie de se battre pour les ACR de sujets « jeunes », mais pour les autres ?

Les faits

Appel pour trouble de conscience chez une femme de 96 ans. C’est sa fille qui appelle, très affolée, et de qui on ne peut obtenir de précisions. Le PARM qui avait pris l’appel envoie un VSAV (véhicule de pompiers).

Appel du VSAV pour ACR, la réanimation étant en cours… Donc j’envoie une équipe qui signera le certificat de décès sans poursuivre de réanimation.

Analyse

Il est évident qu’on ne peut laisser l’appelant dans un état de détresse, seule et désemparée chez elle avec sa mère. L’envoi d’un VSAV est la réponse la plus rapide que nous pouvons apporter, avec l’avantage de pouvoir faire un bilan précis et éventuellement apporter les premiers soins en cas de pathologie (nous excluons la mort qui est « au-delà » de la pathologie…)

Le rôle du SMUR (Service Mobile d’Urgence et de Réanimation) a été de stopper la réanimation et de signer un certificat de décès, les pompiers ayant ordre ne ne pas interrompre une réanimation débutée…

Discussion

Nous devons répondre à plusieurs questions :

1) Doit-on réanimer une personne en ACR de 96 ans ? Le SMUR devait-il intervenir ?

Ne nous précipitons pas… Imaginons que l’arrêt soit récupéré : quel service de réanimation acceptera un tel patient ? Et si, sous la pression d’un directeur de garde le réanimateur « accepte », que fera-il pour le patient ? Probablement rien. Qui ferait quelque chose ? Probablement personne.  Je choisis « probablement » car je ne connais pas tous les réanimateurs de France. On pourrait remplacer « probablement » par « raisonnablement ». En effet, il me semble qu’une enquête, si elle était faite, montrerait 100 % de « non » à la première question (si quelqu’un a du temps à perdre pour faire l’enquête, pour ma part je me contenterais du bon sens…). Donc si aucun réanimateur ne veut prendre en charge un tel patient, tout ce que l’on peut faire avant est inutile. Aussi bien une intervention SMUR qu’une RCP par les SP (Sapeurs Pompiers).

Cela permet de répondre à la question subsidiaire : non ! Mais nous ne savions pas comment faire autrement, les délais pour avoir un médecin généraliste étant trop longs, les pompiers ne pouvant stopper la réanimation…

2)  Quelle est alors la limite ?

Il est très difficile de répondre. Il est probable que, si on leur posait la question, la limite serait variable d’un réanimateur à un autre. A mon avis, il y aurait probablement une moyenne qui se situerait autour de 85 ans…

3)  Faut-il une limite ?

Il est bien sûr mauvais de fixer une limite qui sera obligatoirement arbitraire. Mais n’est-il pas plus mauvais de laisser le médecin et sa conscience décider, en particulier si c’est un jeune médecin ?

La limite légale d’avortement est arbitraire, mais elle a le mérite d’exister. Cela donne une marge de manœuvre saine dans la relation médecin-patient ; cela permet de se tourner vers une référence pour agir sur un problème de société qui ne doit pas être un problème personnel pour le médecin. Si la loi peut soulager la conscience du médecin et éviter de faire passer la patiente pour une hors-la-loi — et ce faisant lui éviter des « soins » improvisés — qui pourrait s’y opposer ?

Proposition

Ne pourrait-on pas faire une enquête auprès des réanimateurs pour connaître cette limite personnelle que l’on transformerait en moyenne générale ?

Ne peut-on utiliser l’expérience et la conscience de ces médecins afin de faciliter la pratique ? Je pense en particulier aux jeunes réanimateurs livrés à eux-mêmes et sans aucun contrôle sur cette question — les anciens ayant appris à s’en accommoder avec plus ou moins de bonheur…

Conséquences

Outre la facilitation de la pratique, cela permettrait d’éduquer la population qui, à mon sens, ne doit pas être maintenue dans la croyance qu’une vie n’a pas de fin… En tout cas à l’espérer.

Nous pourrions sortir du schéma : « une  réanimation débutée par les SP ne peut être stoppée que par un médecin physiquement présent sur les lieux ». Car la question ne se pose que lorsque le patient est très âgé. Dans les autres cas le SMUR se déplace sans même discuter.

Conclusions

Le problème est un vrai problème pratique : qui n’est pas mal à l’aise devant l’ACR du sujet âgé, autant en régulation qu’en intervention ? Dire « les pompiers réaniment n’importe qui » n’est pas satisfaisant car personne ne sait à partir de quand on devient ce « n’importe qui » qui sous-entend un âge très avancé.

Après environ 85 ans, si une vie a été mal remplie, il est trop tard pour se rattraper, et que si elle a été bien remplie, il n’y a rien à regretter en partant. Formule simpliste, mais de bon sens, dans le fond…

En tout cas, à ces âges-là, les séquelles d’un ACR récupéré étant lourdes, la « survie » est d’une qualité bien médiocre.

Il ne s’agit pas de science pure, mais d’humanisme… j’allais dire de… médecine !

Un consensus, ou pourquoi pas une loi, assainirait une situation pour laquelle il ne s’agit pas d’arrêter une réanimation, mais de ne point la débuter, ce en quoi on ne s’oppose pas à un phénomène naturel (…petite précision pour dire que c’est très différent de l’euthanasie !). Car après tout, le problème est un problème de société plus qu’un problème personnel — qui sommes-nous pour décider de réanimer ou pas, sans rendre aucun compte sinon à soi-même ?

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5 Responses to Arrêt cardiaque : y a-t-il un pilote dans l’avion ?

  1. Pourquoi se limiter uniquement à un critère d’âge ? Ce que je trouve de plus un peu limité, voire dangereux. Tout d’abord la notion de témoin me semble tout aussi importante. Pour faire simple on fait un arrêt cardiaque devant un témoin et on meurt sans témoins (et c’est d’autant plus vrai qu’on est plus âgé). Un autre critère qui me semble aussi important est celui de la dépendance, que de fois avons nous été envoyés donner l’extrême onction à des patients du 6ème âge, grabataires, mutiques, incapables de communication ou des gestes les plus simples du quotidien, en RPA… Un petit mix de ces 2 autres critères avec le premier pourrait donner une base de réflexion intéressante qui tient en 3 Questions : Le patient :
    a-t-il fait son malaise devant un témoin ?
    était-il capable de s’occuper de lui seul ?
    est-il âgé de plus de 80 ans ? (je suis plus réducteur que toi…)

    Oui à 2 questions sur les 3 et hop pas de SMUR, arrêt de la réa par téléphone avec le consentement de la famille, voire contre-indication avant le début de celle-ci !

    Voeu pieux

    • Marc Accadia says:

      Bien d’accord avec toi Olivier. Mais je voulais juste avancer doucement, sur un critère clair. L’arrêt cardiaque sans témoin est un mort… aux Etats-Unis. Chez nous c’est un arrêt cardiaque, malheureusement (je dis malheureusement parce que la logique, connaissant le temps de destruction du neurone privé d’oxygène, est du côté des Américains…).
      Pour ce qui est de l’état du patient et de sa qualité de vie, il est difficile d’être sûr par téléphone, et une fois sur place, on peut juger en fonction se l’examen clinique… et faire donc de la médecine (je veux dire de juger avant d’agir) sans se poser de problème métaphysique.
      Pour ce qui est de l’âge avancé, il n’est pas question d’état de santé, mais de fin de vie. C’est pourquoi le sujet me semble discutable. On m’a déjà dit que ce n’était pas facile car politiquement incorrect. Tu imagines à propos d’un sujet encore jeune, même très malade…
      On verra… Content d’avoir eu ton avis sur cette question.

  2. jullian says:

    C’est possible tu oublies le secours « médical » pompier qui ne se pose pas tant de questions mais qui protocolise sa réponse (heureusement que les pierres tombales n’entrent pas dans le protococole).
    Aprés tout pourquoi tant d’acharnement, dans nos sociétes occidentales où la vie est de plus en plus longue puisque l’on est passé d’une espérance de vie de 30 ans pour cro-magnon des cavernes à 80 ans pour cro-magnon des villes, nos concitoyens n’arrive plus à se faire à cette idée de la mort qui apparait si  » éloignée ». Ensuite quelle vie mérite d’être vécue (toutes d’aprés le Vatican du moment qu’il y a un souffle de vie !!!!) ?
    Plus sérieusement, l’activité du SAMU en ce qui concerne les ACR a évolué en même temps que le public qui n’arrive plus à conceptualiser la mort. Avant on mourrait jeune maintenant on vit vieux.
    En plus de vingt ans de SAMU cela m’est arrivé une seule fois de dire par TPH aux SP d’arrêter la réanimation et d’avoir une discussion avec la famille qui a parfaitement compris. Actuellement je ne le ferais plus (d’autant plus que je ne régule plus).
    De toute façon il me semble qu’à l’heure actuelle en régulation les EMA font partie des départs systématiques, aprés c’est le médecin sur place qui décide c’est plus simple non ? On est coincé allez envoyer un médecin de SOS constater un décés

    • Marc Accadia says:

      Je crois que le problème est que c’est aux médecins de prendre position, d’abord, pour faire changer les choses. Les pompiers ne font qu’appliquer ce qu’on leur demande de faire. Comment leur demander de ne pas réanimer quand nous même n’avons pas défini des critères de non réanimation ? Si nous ne disons rien, ils font des protocoles par défaut… Et à mon avis, les sapeurs pompiers, sur le terrain, ont raison de les appliquer (même si parfois cela parait un peu extrême).
      Sinon, je suis bien d’accord avec toi − c’est ce que j’ai écrit dans le texte − le vrai problème est la question de l’acceptation de la mort dans notre société.

  3. jullian says:

    Comme power point peut rendre stupide, les protocoles appliqués sans conscience rendent stupides autant formés des chimpazés. En ce qui concerne les SP il faut effectivement qu’ils réaniment il n’y a pas à discuter, la polémique vient des infirmiers SP un certain nombre appliquent sans se poser de questions (voir des questions à la famille :cancer en phase terminale par exemple), on était en droit d’attendre un peu plus de ce « secours médical », autrement dit les ACR étaient plus faciles à gérer sans eux et on n’embolisait pas les services de réa avec des patients « sans avenir »