DIU de régulation médicale ?

(Note : DIU = Diplôme Inter-Universitaire.)

L’affaire de la vaccination contre la grippe H1N1 m’a prouvé au moins une chose : l’expertise n’est pas le moyen le plus sûr pour trouver raison. Le contenu de forums et blogs sur le sujet ont montré un bon sens bien supérieur à celui des experts : tout y était dit simplement, et analysé avec intelligence (Atoute, Formindep, Pharmacritique, etc, dont je ne peux que recommander la lecture). Il existe des associations plus intéressées par l’intérêt des patients que par des intérêts privés (pas seulement financiers, mais aussi de reconnaissance, de pouvoir, de main-mise).

Aujourd’hui, il faut faire avec des moyens nouveaux. Nous vivons une ère nouvelle : celle de l’intelligence collective qui permet de mettre en commun nos acquis grâce à l’Internet. Chacun peut profiter des réflexions des autres, instantanément.

Je vous invite à lire également La cathédrale et le bazar qui explique comment aujourd’hui une construction sur un mode associatif, même anarchique, peut être bien plus efficace que suivant un mode hiérarchique. Le développement informatique a suivi deux voies : classique avec des entreprises privées qui font leur business (Microsoft et Apple en particulier), et libre (GNU/Linux). Cette seconde voie fonctionne de la manière suivante : chacun peut apporter sa contribution grâce à une architecture ouverte à tous, dite « open source ». Le résultat associatif a montré une efficacité supérieure en terme de stabilité, de sécurité et de coût : pas besoin d’antivirus, pas besoin de licence pour l’utilisation de logiciels qui ont été créés de manière bénévole (c’est la philosophie de Linux) par des passionnés d’informatique qui pensent qu’il est préférable pour l’humanité de fonctionner sur le mode associatif que compétitif : mettons en commun nos idées en fonctionnant sur un système ouvert, non sur un système verrouillé, privé. Pas de chef, de directeur, de patron, mais juste des gens qui ont envie d’apporter leur contribution et de recevoir la contribution des autres. Pas de hiérarchie inutile. L’idée a fait son chemin, même dans de nombreuses entreprises.

Que peut-on tirer comme enseignement ? Qu’il faut penser autrement, et abandonner nos vieilles manières de fonctionner : stop à la subordination à une autorité autoproclamée qui n’en est pas une. Aujourd’hui, il faut apprendre en échangeant, non en imposant.

Que dire alors du DIU de régulation ?

Je vais reprendre un peu mon histoire avant de donner mon avis.

Lorsque j’étais jeune interne, nous avions tout juste le droit d’aller voir comment fonctionnait la régulation. La principale remarque qui nous était adressée était : « De toute façon, c’est pas pour vous. La régulation, c’est réservé aux vieux briscards, aux poilus, ceux qui connaissent parfaitement le terrain. »

Les anciens n’étaient pas forcément plus stupides que nous. Ils pensaient simplement qu’il n’est pas possible de se former directement à la régulation car la régulation n’est qu’une étape tardive de la pratique. Je pense un peu comme les anciens qu’il est illusoire de vouloir former à la régulation quelqu’un qui n’a pas une solide expérience du terrain. D’ailleurs, c’est dans cette même logique que les jeunes sont « dispensés » de régulation pendant les premières années de pratique SMUR (au moins à Lyon).

J’ai accueilli avec une grande perplexité le Guide d’aide à la régulation au SAMU-centre 15. Je comprends bien que l’idée partait de bons sentiments, mais, selon moi, c’est une erreur. D’abord, je pense qu’il est inutile de revisiter toute la médecine d’urgence du point de vue du régulateur. Ensuite, je trouve qu’il a tendance à rendre compliquées les choses simples. Et enfin, je pense que cela va poser un problème de référence opposable en cas de problème médicolégal, et cela n’est vraiment pas bon, à mon avis, car l’incitation à se couvrir ne permet pas une régulation sereine, donc efficace.

Mais je n’ai rien dit ouvertement… Malheureusement, si personne ne dit rien, une voie qui s’ouvre sans remise en cause tend à se poursuivre. Et le DIU de régulation est une suite logique…

Certains me créditent d’une certaine expertise à la régulation, du fait de mon ancienneté et de mes réflexions sur ce travail bien particulier. Pourtant, je me considère toujours comme un humble praticien car je constate que souvent des jeunes trouvent des solutions intéressantes, qui m’avaient échappées. Alors, je ne peux m’empêcher de penser au fonctionnement du logiciel libre : une contribution de ceux qui ont à dire est bien plus intéressante et bien plus susceptible de faire bouger la régulation que des cours magistraux particulièrement obsolètes dans une discipline essentiellement pratique. Disons que je vois la formation à la régulation plus comme relevant du compagnonnage que de l’enseignement universitaire… car il est plus question de savoir-faire et de bon sens, que de connaissances théoriques.

Mais comme toujours, il faut savoir quel objectif est visé : la chasse gardée d’un domaine de compétence ou l’efficacité pratique du concept de régulation ?

Car la formation n’est qu’un aspect du problème. Un autre aspect, sur lequel il serait utile de se pencher plus sérieusement, est la législation.

Parce que, de mon point de vue, si la régulation continue de tendre vers le médicolégal, autant l’arrêter tout de suite. Chacun essayant de se couvrir encore un peu plus, il n’y aura plus de régulation vraie, mais uniquement une surconsommation médicale par démesure de la réponse apportée à la demande.

Mon avis est qu’il faut remettre les choses en place : la régulation médicale n’est pas de la médecine (qui pourrait affirmer qu’on peut faire de la médecine sans voir ni toucher le patient, c’est à dire sans clinique ?). Par conséquent, comment imputer une erreur médicale à un régulateur ? Il faut être clair : le médecin régulateur peut donner un avis, un conseil, mais ce n’est pas une consultation. Son rôle est de donner une réponse de moyens appropriés à ce qui lui est uniquement dit par téléphone. Si le patient veut une consultation, il doit voir un médecin.

Je pense que la régulation pourrait être plus sereine, si un disque passait avant le décroché qui dirait : « Vous allez être mis en relation avec un médecin qui ne peut ni vous voir ni vous examiner. Vous acceptez implicitement de ne pas pouvoir le poursuivre en cas de problème. Sinon, allez voir un médecin en consultation. » (Traduction : « On veut bien vous aider, et gratuitement, mais faut pas pousser ! Ou alors, débrouillez-vous tout seul, comme quand ce service n’existait pas. »)

Regardons les choses en face : combien de médecins condamnés en régulation sur le nombre d’affaires ? Combien d’heures perdues en enquêtes et en jugements ?

L’intérêt serait donc de redonner une efficacité à la régulation, et de libérer du temps pour la Police et la Justice.

Utopique, mon point de vue sur la question ? Peut-être…

Une référence à Henri Laborit (oui, encore…) pour conclure : « Ce n’est pas l’Utopie qui est dangereuse, car elle est indispensable à l’évolution. C’est le dogmatisme, que certains utilisent pour maintenir leur pouvoir, leurs prérogatives et leur dominance. »

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