J’aurais voulu intituler ce texte « anti-manuel de secourisme » pour faire un clin d’œil à l’anti-manuel de philosophie et l’anti-manuel d’économie. Sauf que le secourisme n’est pas quelque chose d’assez complexe pour nécessiter un manuel. A mon avis. Clin d’œil, mais pas seulement. En fait, il semble que dans ces si sérieuses disciplines, le bon sens soit laissé de coté, avec l’approbation générale. Panurgisme involontaire ou bien induit ?
Bref, j’aime tout ce qui (re)pose correctement les questions… et y répond. Mon domaine de compétence est l’urgence. J’ai participé pendant des années à l’enseignement de l’urgence médicale. Mon expérience s’est faite sur le terrain : pas de formation à la pédagogie, à la psychologie, à la gestion de groupe, d’émotions, et autres formations (qui, à mon sens, formatent plus qu’elles ne forment). L’expérience du terrain permet de ne pas perdre le contact avec la réalité.
Les réponses à mes questions, je les ai trouvées dans la réflexion, en essayant d’être le plus honnête possible, au moins avec moi-même. Chaque fois que je sentais que quelque chose clochait, je tâchais d’analyser le problème. La conclusion globale est que le secourisme est, et doit rester, une discipline simple… et que la plupart des formateurs passent leur temps à la rendre d’une complexité repoussante pour le quidam plein de bonnes intentions.
Ce qui m’a frappé dans l’anti-manuel d’économie c’est la perte de l’objectif : l’idée n’est plus de « bien faire » mais « d’être efficace », peu importe ce que l’on fait. L’exemple donné dans le livre est que ce qui intéresse est, par exemple, de bien charger ou décharger un camion, peu importe ce qu’il transporte. L’objectif n’est plus pourquoi, mais comment. Cela, je le vois aussi dans le secourisme, où ce qui importe plus que l’objectif (ex : éviter qu’une personne ne s’asphyxie) c’est la technique (PLS qui devient un acte quasi artistique tellement on détaille sa réalisation).
Doit-on secourir obligatoirement ?
La réponse est nuancée : cela dépend de la conscience de chacun. Il existe des degrés : certains sont prêts à donner leur vie pour une autre (incertaine par définition), d’autres ne sont prêts à rien donner, et comme toujours, il existe une catégorie de gens de bon sens qui aident, mais de manière raisonnée. C’est le premier principe du secourisme : ne pas se mettre soi-même en danger. Cela est inclus dans un principe plus global qui est d’éviter le suraccident.
Le problème de l’enseignant est d’être cohérent avec ce qu’il dit. Comment peut-on dire aux autres de faire le bouche-à-bouche à une personne en arrêt respiratoire, alors que l’on est incertain de le faire soi-même ? J’ai la réponse : hypocrisie inconsciente et surtout, surtout, pas de désir d’aider la personne en difficulté (le secouriste).
Lorsque l’un de mes amis m’a dit : « si tu ne crois pas à ton enseignement, tu devrais arrêter », j’ai répondu que je croyais à ce que j’enseignais, mais il fallait mieux définir les limites. L’exemple de la réanimation respiratoire est un bon exemple : il est déraisonnable à mon sens de faire le bouche à bouche à un inconnu avec la bouche en sang, mais il me parait très utile de savoir le faire pour un proche. Pourquoi ne pose-t-on pas le problème ? Et surtout, pourquoi ne répond-on pas qu’il est préférable de ne pas faire de ventilation dans la plupart des cas ? La réponse est dans le paragraphe précédent.
Quelles sont les bases ?
En résumé, il faut maintenir les fonctions vitales. Sont considérées comme fonctions vitales la respiration et la circulation sanguine, le but étant de maintenir l’intégrité du cerveau. Ce que l’on veut obtenir est non seulement le maintien du fonctionnement du corps, mais aussi de l’esprit.
La physiologie de la première urgence est donc extrêmement simple. La cellule, unité vivante de l’ensemble (comme l’individu dans une société), a besoin de :
- carburant, fournisseur d’énergie : le glucose essentiellement, qui par dégradation va fournir de l’énergie pour le maintien de la structure et le fonctionnement de la cellule.
- et d’une « poubelle » pour évacuer les déchets : l’oxygène va servir à débarrasser la cellule des électrons libérés par les réactions de dégradation du glucose.
En somme besoin d’énergie et de bon « entretien ».
Le glucose est rarement un problème d’urgence car l’organisme peut s’en passer pendant de nombreuses heures ou jours. L’organisme est capable d’en fabriquer lorsque l’apport est interrompu (réserves). Il existe un cas particulier, qu’il convient de toujours garder à l’esprit, qui est celui du diabétique. Le diabète est une maladie de la régulation du taux de glucose dans le sang. L’insuffisance, mais aussi l’excès, de glucose dans le sang entraînent une souffrance des cellules, notamment nerveuses. Cela se traduit par ce que l’on appelle les signes de souffrance cérébrale : somnolence, ou agitation, confusion, et au maximum coma.
Reprenons : confusion et somnolence, cela se comprend aisément ; car cela traduit une sorte de « ralentissement des capacités ». Plus curieux est le problème de l’agitation, sorte d’hyperactivité désordonnée. On sait que ce genre de problème existe dans les traumatismes crâniens graves, pour lesquels on considère comme suspecte toute agitation… jusqu’à preuve du contraire (scanner). Il faut donc retenir qu’une personne agitée peut être une personne qui souffre par défaut de glucose sanguin. Cela explique que la mesure du taux de glucose, par usage d’une simple bandelette avec une goutte de sang, est systématique en urgence lorsque l’on est devant un trouble du comportement.
Le COMA est une notion à bien définir. L’origine du mot est, comme souvent en médecine, grecque. Cela signifie « sommeil profond ». Et, en effet, le comateux ressemble à quelqu’un qui dort. La différence est que l’on ne peut pas le réveiller par la stimulation. On peut dire que le comateux est celui qui a perdu le contact avec le monde extérieur ; il n’est plus en relation avec le monde extérieur.
Défini de cette manière, il devient inutile de préciser si le coma est profond, superficiel, incomplet,… En fait, soit le sujet est comateux, soit il ne l’est pas. Il n’y a que 2 solutions. Et ce qui va me permettre d’affirmer cet état est le fait que je peux, ou ne peux pas, entrer en contact avec lui. Si je peux obtenir une réponse adaptée à une stimulation (ordre ou douleur), le sujet n’est pas comateux.
Il faut rester pragmatique, et le fait de simplifier la définition va permettre de simplifier la conduite à tenir.
Le coma, qu’il soit diabétique ou d’une autre origine, est à la base du secourisme. Ce que j’appelle secourisme est un savoir simple qui permettra de préserver les fonctions vitales. En effet, un geste simple va pouvoir éviter une mort du sujet comateux ; c’est la très célèbre Position Latérale de Sécurité ou PLS.
Revenons sur le coma. Le problème du comateux se situe à différents niveaux :
- le plus important est la perte du tonus musculaire : chez un sujet normal, même lorsqu’il dort, la langue est « tonique », c’est ce qui évite qu’elle ne bascule. C’est cette bascule qui, lorsque le sujet comateux est sur le dos, va littéralement provoquer le blocage du passage de l’air. Les voies aériennes ne sont pas « libres ». Le sujet s’asphyxie.
- le deuxième point est la perte des réflexes de déglutition et de toux. Ces réflexes sont des phénomènes de défense de l’organisme, pour précisément éviter qu’autre chose que de l’air ne pénètre dans l’appareil respiratoire (trachée, bronches et poumons). Si vous vous amusez à verser un peu d’eau dans la bouche d’un sujet qui dort, il va l’avaler sans même se réveiller. Si un peu d’eau passe malgré tout dans la trachée, il va tousser. Cela ne se fait pas chez le comateux, ce qui signifie qu’en cas de régurgitation (équivalent d’un vomissement, mais contrairement à ce dernier, c’est un phénomène passif : c’est une simple « remontée » de liquide digestif) il existe un risque d’atteinte du poumon.
La PLS va permettre de rendre libre le passage de l’air, ce que l’on décrit comme une « libération des voies aériennes », et va permettre de protéger l’appareil respiratoire, voici pourquoi :
Le fait de mettre le sujet sur le coté va « décoller » la langue du fond de la gorge, simplement par la pesanteur, ce qui permet le passage de l’air, et la mise sur le coté permet l’écoulement vers l’extérieur d’un éventuel liquide (sang, salive, liquide gastrique,…).
Vous savez maintenant ce qu’est la PLS et pourquoi il faut la réaliser.
Anecdote : Dans un restaurant, une personne à table a perdu connaissance, est tombée de sa chaise. Des personnes d’une table voisine, ayant eu une formation au secourisme, ont agi rapidement : le sujet étant inconscient, ils l’ont immédiatement mis en PLS. A l’arrivée des sapeurs pompiers, la personne était en arrêt cardiaque, et le SAMU n’a pu que constater que la victime était morte par asphyxie. Un morceau de viande avait bloqué le passage, les voies aériennes n’étaient plus « libres ».
La conclusion est que la PLS n’est pas la réponse à tous les comas. Elle ne concerne que les sujets comateux qui ont conservé une respiration spontanée. Cela signifie qu’avant de mettre le sujet comateux en PLS, il faut vérifier qu’il respire… Voyons comment :
La première chose à faire est d’entrer en contact avec la victime. L’objectif est d’obtenir une réponse le plus rapidement possible. C’est pourquoi l’on apprend souvent à donner ce type d’ordre : « Ouvrez les yeux », « Serrez-moi la main », « Tirez la langue », autant de contacts qui permettent d’obtenir une réponse à un ordre simple.
On se trouve alors devant 2 cas de figure :
- La personne répond à mon ordre : elle est bien en contact avec moi, elle est donc consciente ; son appareil respiratoire n’est pas en danger ; il n’est pas nécessaire de faire quelque manœuvre que ce soit.
- La personne ne répond pas : je dois vérifier qu’elle respire (rappelez-vous l’anecdote…). Pour ce faire, il faut basculer sa tête en arrière ce qui va permettre le passage de l’air (en « dégageant » la langue) ; il faut alors approcher l’oreille de la bouche de la victime : cela permet d’entendre le passage de l’air, éventuellement de le sentir sur notre joue, et de voir le soulèvement de la poitrine ou de l’abdomen. 2 possibilités alors :
2.1- le sujet respire : on peut donc le mettre en PLS : l’objectif est de mettre le patient sur le côté et non de reproduire une chorégraphie parfaite au millimètre près. Autrement dit, il ne faut pas s’abstenir parce qu’on ne sait plus où mettre une main, par exemple. Quelle que soit sa réalisation, il faut que le but soit atteint ; autrement dit, peu importe comment vous arriverez à mettre le patient sur le côté, mais il faut le mettre sur le côté, car il faut qu’il puisse respirer d’une part, et ne pas risquer de s’inonder les voies aériennes d’autre part. La nouvelle méthode permet avec un effort minime d’obtenir un bon résultat. (L’ancienne était objectivement irréalisable, et pourtant enseignée pendant des décennies.)
2.2- le sujet ne respire pas…
L’arrêt cardiaque (ou cardio-respiratoire) est le terme utilisé pour indiquer que nous en sommes là… Je veux dire au paragraphe 2.2.
Aujourd’hui, il n’est plus conseillé de vérifier la présence ou l’absence du pouls carotidien qui correspond à la manifestation d’une activité efficace du cœur. Tant mieux, car ce n’est pas facile… surtout si on ne sent rien (erreur technique ou absence réelle de pouls?).
Donc, toute simplification étant bonne à prendre − surtout en situation d’urgence où le stress a tendance à paralyser un peu la pensée − retenons que l’absence de respiration est synonyme d’arrêt cardiaque.
La procédure devient alors la suivante :
Il faut mettre le patient à plat dos sur un plan dur. Pour comprendre cette nécessité, il faut savoir que la compression thoracique permettra de chasser le sang contenu dans le cœur à condition de le comprimer entre la colonne et le sternum, ce qui est difficile s’il n’y a pas de plan dur sous la colonne vertébrale.
Remarque : il existe un cas de figure particulier, celui où on voit une personne s’asphyxier et perdre connaissance. Dans ce cas, il faut faire la manœuvre de Heimlich qui consiste à provoquer une surpression abdominale pour chasser le corps étranger (obstacle) des voies aériennes. Vous pouvez retrouver la description de cette technique ici (le dessin n’est pas terrible, mais suffisamment explicite…).
(Anecdote : une dame assez forte et n’ayant jamais appris le secourisme a sauvé son mari qui avait voulu manger un gros morceau de viande, parce que, m’a-t-elle raconté, elle a eu le « réflexe » de s’asseoir sur le ventre de son mari tombé à terre inconscient… lui libérant ainsi les voies aériennes. Toutefois, chez un sujet asphyxié à terre, le massage cardiaque externe aura le même effet qu’une manœuvre de Heimlich…)
Autre problème vital : l’hémorragie.
La limitation de la perte du sang est le problème majeur en cas d’hémorragie. On distingue les hémorragies internes et externes. Les hémorragies internes ne concernent pas le secouriste. Seules les externes vont lui permettre d’avoir une action efficace.
On distingue classiquement les hémorragies « en nappe », et « en jet ». Les hémorragies en nappe signent une plaie non artérielle, donc sans pression importante. L’application d’un pansement compressif est suffisant. Pour les hémorragies en jet, artérielles, à forte pression, il faudra une contre-pression plus forte. A mon sens, seul le garrot est efficace et facile à réaliser. Il est abandonné actuellement, mais cela reviendra à la mode lorsque les « décideurs » en auront eu assez de complexifier les gestes. La réalisation est facile si on garde en tête qu’il faut comprimer une artère sur un segment de membre n’ayant qu’un os : bras ou cuisse, car la compression se fait par écrasement de l’artère sur un plan dur : l’os. Or, s’il existe 2 os (avant-bras ou jambe), l’artère peut échapper à la compression en se logeant entre les 2 os. L’autre avantage du garrot, et non le moindre, est de libérer le secouriste.
La seule compression éventuellement intéressante est la compression fémorale : Le poids du corps est en partie reporté avec le poing, bras tendu, sur la racine de la cuisse de la victime (pli de l’aine), pour obtenir l’arrêt de l’hémorragie.
Encore quelques recommandations
Lorsqu’une personne « se sent mal », il est souvent bon de l’allonger (meilleure perfusion cérébrale : l’irrigation du cerveau n’a plus à lutter contre la gravité)… SAUF lorsqu’il existe une gêne respiratoire, auquel cas il faut respecter absolument la position assise. Sans gêne respiratoire, il s’agit souvent d’un malaise vagal, malaise dû à l’activation du nerf vague entrainant notamment un ralentissement du rythme cardiaque, activation le plus souvent secondaire à une douleur aiguë ou d’une émotion forte (exemple : malaise vagal de la maman à la vue d’une plaie chez son bambin).
Pour les brulures, la seule chose à faire, mais le plus rapidement possible, est le refroidissement prolongé des régions brulées par de l’eau courante.
Pour l’appel des secours (15, 18, ou 112) : laissez-vous guider, vous avez un professionnel au bout du fil qui vous demandera tout ce qu’il veut savoir. Ceux qui ont connu les discours fumeux sur « comment faire une alerte et passer un bilan » apprécieront, je crois… L’appelant pouvant se faire guider par un spécialiste, pourquoi, encombrer son cerveau de choses inutiles ?
Voilà pour l’essentiel, selon moi.
Le reste est superflu (toujours selon moi). Je dirais même que d’écrire de gros bouquins bien compliqués ne peut provoquer chez le néophyte que l’impression qu’il ne sera jamais à la hauteur, et au lieu de lui simplifier les choses, on l’aura mis à l’écart d’un domaine réservé à des « spécialistes ». C’est toujours la même histoire : protéger son « territoire », son pouvoir personnel, prévaut toujours sur le partage.
Il y a longtemps que je ne me tiens plus au courant des directives officielles, car pour moi faire 5 massages cardiaques pour 1 ventilation artificielle, ou 15 pour 2, c’est de la rigolade (ou fumisterie si on est un peu énervé). Mais j’ai quand même pu observer qu’on progresse : la recherche du pouls est abandonnée et la ventilation artificielle par bouche à bouche est, me semble-t-il, sur le point de l’être aussi. Et tout ce qui simplifie la vie est bon à prendre, comme je l’ai dit plus haut…
Bon j’imagine que je vais me mettre les secouristes à dos en m’attaquant à leur chasse gardée, mais j’aime bien donner mon avis, surtout quand je me sens autorisé à avoir un avis sur une question que je connais un peu.
PS : Si j’avais voulu dire un mot sur le défibrillateur semi automatique, j’aurais dit que c’est vraiment super… pour le fabriquant. Mais je ne voudrais pas me mettre les médecins bien-pensants à dos en plus des professionnels du secourisme. Bah, ce n’est qu’un avis, après tout, et j’ai bien le droit d’avoir le mien…
PPS : J’aurais pu mettre ce texte dans « médecine ou philo ? », mais je pense qu’il a d’abord un tour à faire dans « le coin des urgentistes ». Peut-être plus tard…