Prélèvement d’organe

J’ai hésité à mettre ce mot dans « juste pour rire », parce que je vais aborder le problème sous un angle inhabituel. Mais bon, le sujet reste quand même sérieux, médical et philosophique.

Au départ, je voulais parler du don d’organe après la mort… Mais il est plus proche de la pratique de parler de prélèvement d’organe. La différence ? Le don est un choix de celui qui en était le propriétaire initialement, le prélèvement est l’action des autres devant un non choix (la loi considérant aujourd’hui que qui ne dit rien consent).

La pratique pose quand même un problème pour ce qui concerne le prélèvement sur cœur arrêté. Le médecin SMUR sait que l’arrêt cardiaque n’est pas récupéré, mais doit quand même emmener le corps sous massage cardiaque jusqu’au service de prélèvement. Cela ne me pose pas de problème particulier pour ce qui concerne le corps lui-même, mais c’est un peu inélégant vis à vis de la famille, à qui on dit − sans le dire − que le défunt… ne l’est pas encore tout à fait. C’est un peu gênant sur le plan humain. Ça sent un peu la manipulation (de la famille mais aussi de l’équipe médicale).

Mais revenons au don.

À ma question : « Que penses-tu du don d’organe ? », un de mes amis a donné une réponse étrange.

« Le don d’organe − m’a-t-il répondu − je suis contre. » Devant mon insistance, il m’a précisé sa pensée : « Ben oui, je suis contre parce que… il y a 85 % de chance que ce soit pour un connard ! »

Tout de suite, ça calme la discussion une réflexion pareille, n’est-ce-pas ?

Je précise, même si ce n’est pas utile, que mon ami est un tantinet… misanthrope. Si… Mais pas de quoi s’énerver, il n’a jamais tué personne ni eu l’envie de le faire. Bref, qu’il ait une triste opinion de ses congénères n’est pas un crime, que je sache. En tout cas, dans une ambiance de « pensée unique et politiquement correcte » sur cette question, j’ai trouvé cette pensée-là originale.

Je vous laisse un instant de réflexion…

Ce que j’en pense moi ? Ça dépend des moments. Je me demande si des fois je ne suis pas un peu misanthrope, moi aussi… Des fois…

Plus sérieusement, ma position concernant mes organes, c’est que la loi n’est finalement pas mal faite, de mon point de vue, parce que je me fous complètement de mes organes si je n’en ai plus l’utilité (et, mort, je n’en ai plus l’utilité… me semble-t-il). Bah, rien de nouveau depuis Épicure qui trois siècles av. J-C  proposait son tetrapharmakon (les 4 remèdes) pour un art de vivre, dont l’un des éléments concernait la mort : à ne pas craindre car, disait-il, « la mort n’est rien pour nous, puisque lors­que nous exis­tons la mort n’est pas là et lorsque la mort est là nous n’existons pas. »

J’ai du mal à imaginer qu’on puisse revendiquer la propriété de l’enveloppe lorsqu’on l’a quittée ; puisque le propriétaire l’a laissée − par définition −, il me semble qu’elle ne lui appartient plus. Elle appartient alors à ceux qui restent, c’est à dire la société, qui pourra soit la laisser se décomposer (en l’y aidant éventuellement), soit faire du recyclage.

Quelle étrange satisfaction que de décider encore pour le moment où l’on ne sera plus. Comble du matérialisme et du sens de la propriété. Peut-être n’est-ce que l’expression du phantasme de croire pouvoir continuer à se battre contre la mort, même lorsqu’elle aura gagné…

Ou alors, et je peux le comprendre, cela a à voir avec une position philosophique vis à vis de sa propre espèce, comme mon ami.

Cela m’amène tout naturellement à la conclusion que le problème du prélèvement d’organe n’est pas ma préoccupation première. En tout cas elle l’est beaucoup moins que de s’attaquer au fait que 85 % de la population soit constituée de connards… du point de vue de mon ami… qui n’en est pas un, lui, de connard… de mon point de vue.

Bref, changer les mentalités m’intéresse plus que de changer des organes… L’un n’empêchant pas l’autre, certes.

PS : Comme toujours, il existe des cas concrets qui échappent à toute théorie… Par exemple, la dernière fois que j’ai entendu parler de greffe d’organe, c’était pour un jeune homme qui avait eu envie de manger des champignons cueillis par ses soins, sans en connaitre les variétés comestibles. C’est vrai, c’est sympa de se faire un petit plat de champignons ramassés dans les bois. Et personne ne sait que ça peut être dangereux, bien sûr… Bref, après une destruction en règle d’un foie qui n’avait rien demandé, il fallait penser à l’avenir. Dans un cas pareil, je me demande si ce n’est pas une double greffe qu’il faudrait : un  foie… et un cerveau avec.

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