Sur fond de Révolution…

Voilà quelque chose qui m’amuse toujours : j’écris…

C’est amusant parce que je me rends compte que ce n’est pas moi qui décide d’écrire, mais qu’écrire s’impose à moi. Pourquoi ? Parce que je ne décide pas de réfléchir sur un sujet, c’est le sujet qui se présente à ma réflexion. Ou qui construit ma réflexion, je ne sais pas bien… Cela commence par une impression. Floue, donc, et difficile à expliquer par les mots. Et tout le travail se fait tout seul : des phrases viennent à la surface, comme des bulles d’air dans l’eau. Le seul problème, c’est de ne pas les laisser s’échapper, en n’omettant pas de les noter.

Le sujet qui me taquine en ce moment, c’est la révolution qui gagne en ce moment l’Afrique du Nord. Mais ce n’est pas précisément ce qui monte à mon cerveau. Ce qui monte à mon cerveau, et qui attrape au passage la révolution, c’est l’absurdité de ce monde humain…

En discutant avec un ami, je faisais la proposition que le monde est absurde. Proposition que, bien sûr, j’emprunte à Camus. Mon ami s’est indigné de cette proposition, et m’a lancé (en gros) : Comment peut-on se permettre de porter un jugement sur l’humanité ? Comment peut-on prétendre tout embrasser, le passé, le présent et le futur inconnu par définition ?  Que peut-on comprendre nous, éléments insignifiants, du cheminement de l’humanité ?

Ce que j’ai répondu, c’est que, à mon sens, rien n’est interdit, en pensée, et que chacun peut bien faire le chemin qu’il veut, et porter le jugement qu’il veut. Il n’a de valeur, ce jugement, que pour celui qui l’établit. Qu’il puisse influencer les autres, c’est évident, mais il est évident surtout que tout échange entre individus est influence. Donc quoi ? Ne plus écouter, ne plus communiquer, pour ne pas être influencé ? Impensable…

Je reviens donc à mon jugement : ce monde est absurde. Le rapport avec la révolution ? J’y viens.

Ce qui me fascine surtout, en ce moment, c’est l’attitude des démocraties dans cette histoire. Je ne comprends pas comment on peut pendant des années traiter avec des régimes autoritaires (plus exactement leur(s) dirigent(s)), en leur vendant notamment des armes qui permettent leur maintien en place pendant des décennies, et venir crier après que vive la démocratie qui émerge − et même que : à-bas leurs dictateurs ! − sans honte ? C’est bien sûr le «sans honte» qui me pose problème.

Dans la même logique, qu’un ministre des Affaires étrangères propose d’aider à mâter la révolution en marche, sans démissionner ou être démis de ses fonctions, ne choque même plus. En tout cas pas au point d’entrainer une démission − volontaire ou non − immédiate. C’est ce qui est fascinant dans le monde moderne : une idée chasse l’autre, et il n’y a aucune mémoire du passé, même immédiat. Pire, quand bien même il y a une conscience des faits par les individus, on n’en tient pas compte au niveau décisionnaire. Lourdeur bureaucratique ou fait du Prince… ou les deux.

Cela m’évoque, bien sûr, la vaccination anti-grippale de l’an dernier. Je disais ailleurs que moi, ministre de la Santé, après un tel fiasco, j’aurais démissionné et rasé les murs de honte. Pas notre ministre de l’époque qui ne regrette rien et qui, non seulement a été maintenue, mais continue à participer à la gestion des affaires du pays, même après un remaniement du gouvernement qui aurait pu être l’occasion de l’écarter discrètement…

Donc je dis : le fonctionnement de ce pays, le notre, est absurde. Ne serait-ce que par ces quelques exemples.

Pour ce qui est du monde, il suffit d’observer : pollution à outrance, parce que recherche de profit à outrance dans un monde dirigé par la finance spéculative, et mépris total de la vie humaine : quelques favorisés décident du mode de vie − souvent misérable, et pas seulement financièrement − de leurs congénères… quand ce n’est pas de leur vie tout court.

Que le plus grand bonheur du plus grand nombre ne soit pas l’objectif fixé, dans une espèce dotée d’intelligence, n’est-ce pas absurde ?

Je ne peux m’empêcher d’évoquer la pensée de Ernst Mayr (biologiste), selon laquelle les humains sont une sorte «d’erreur biologique» car, dit-il, les humains ont manifesté une aptitude à l’autodestruction, tout au long de leur histoire, et de façon vraiment spectaculaire dans les derniers siècles, où ils se sont acharnés sur l’environnement nécessaire à la vie, sur la diversité des organismes complexes et, avec une sauvagerie froide et calculée, les uns sur les autres.

Je pourrais continuer longtemps, mais c’est inutile car je peux déjà tirer une conclusion, que je voudrais adresser à mon ami : ce n’est pas de penser que le monde est absurde qui me choque… c’est de ne pas le penser.

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2 Responses to Sur fond de Révolution…

  1. oliv says:

    Je crois que dans l’analyse de Camus, l’absurde n’est pas lié au caractère déraisonnable des comportements humains, mais au fait que la mort, comme échéance inéluctable, enlèverait finalement toute possibilité de sens à la vie.
    Et donc, si elle en avait l’intelligence (mais là, le bât blesse un peu), l’humanité pourrait tenter de justifier philosophiquement ses comportements déconnants, suicidaires et criminels, par le fait que l’échéance finale étant non modifiable, il n’y a pas lieu de s’emmerder à soumettre les instincts à la « Raison ».
    Une position toutefois intenable sans une parfaite unanimité, et bien sûr toujours un total mépris des autres espèces…

    • marc says:

      Je pense qu’il est difficile d’interpréter la pensée d’un homme. Je n’interprète pas celle de Camus comme toi. Je pense que Camus n’était pas miné par une absurdité de la vie du fait de la mort, mais par l’absurdité du monde − du mode de vie − de ses congénères. C’est pourquoi, je pense, il était contre le suicide qu’il considérait comme le seul problème philosophique sérieux. Car finalement, répondre non au suicide, c’est reconnaitre que le suicide est absurde : pourquoi se priver du temps d’une vie qui, de toutes façons, est compté ? Nous n’avons ni la chance ni la malchance d’être vivant. C’est juste un fait. A nous de faire en sorte, autant que possible, de ne pas trop en souffrir (hédonisme par exemple) et, pourquoi pas, en faire quelque chose (utilitarisme par exemple). En faire quelque chose est, par exemple, essayer de changer ce qui ne va pas dans le sens de l’intérêt du plus grand nombre (je fais la proposition qu’une espèce intelligente doit tout mettre en œuvre pour l’intérêt du plus grand nombre, et non pour l’intérêt de quelques privilégiés contre l’intérêt du plus grand nombre). Autrement dit, il faut se révolter contre le système tel qu’il fonctionne.

      J’interprète la pensée de Camus comme ceci : l’utilisation de cette révolte comme action contre une société absurde est une alternative au suicide, en donnant au passage une certaine «gueule» à notre vie… tout en gardant une lucidité, c’est à dire en sachant que cette révolte sera vaine. Bref, agir mais sans se raconter d’histoire, en se considérant comme une partie d’un tout qui nous dépasse (comme une «cellule» de «l’organisme humanité»), en œuvrant pour ce qui nous semble être son bien. Je t’invite à lire les quelques extraits du Mythe de Sisyphe à la toute fin de la lettre ouverte à moi-même, en réponse au paradoxe soulevé par un de mes amis… qui se trouve être toi.