Un nouveau journaliste − à l’avenir prometteur − a réalisé une interview d’un jeune docteur − à l’avenir prometteur, lui aussi −, qu’il faut lire absolument : ICI.
Ces deux lascars étant membres du Formindep, nous avons l’occasion de nous retrouver sur le forum de l’association, avec les autres adhérents. Cette interview a fait l’objet de nombreux commentaires. J’arrive un peu à la bourre, mais c’est tant mieux : l’essentiel a déjà été dit, je n’ai plus qu’à ajouter deux ou trois petites choses. Quand je dis « l’essentiel », je veux parler bien sûr du fond. Pour résumer, il était essentiellement question d’indignation, voire d’écœurement. Vraiment, parce que l’un des adhérents n’a pas pu lire le texte jusqu’à la fin… ce que je peux comprendre. Moi, j’ai lu jusqu’au bout. Effectivement, les adjectifs ne manquent pas : affligeant, consternant, surréaliste, etc.
Néanmoins, avant de m’attaquer à la forme, je voudrais dire une chose sur le fond. Etonnamment, j’y trouve quelque chose de positif. En effet, lorsque les bases sont bousculées, il y a de la déstabilisation dans l’air. Par exemple, l’idée que les professeurs sont les incorruptibles gardiens, garants, référents, d’un savoir médical, est une idée qui s’effondre. L’idée du Maitre est bien mise à mal. Ce que je trouve intéressant, c’est que cela permet à chacun de ne plus « mettre en veilleuse » ses propres pensées sur la médecine. Cela oblige à une restabilisation sur d’autres bases plus saines, ce qui est encourageant pour l’émergence significative d’une pensée moins absurde que : « l’intérêt financier de l’industrie pharmaceutique passe avant l’intérêt des patients… c’est à dire de tous ». Bref, venez au Formindep !
Sur la forme, il y a beaucoup à dire aussi. Le fait de caricaturer, en faisant dire à Louis-Adrien (au fait, je préfère « Louis-Adrien » à « LAD », ça fait plus humain… d’ailleurs, curieusement, je préfère « BHL » à « Bernard-Henri »…) ce qu’il n’a pas dit, est une manœuvre indigne d’un jury de thèse. Par exemple laisser entendre que, d’après le thésard, les patrons seraient « tous pourris »… D’abord, « tous » non. Un bon nombre, je n’ai aucun doute là-dessus, que cela soit conscient ou pas, d’ailleurs. Mais c’est différent de « tous », quand même. Et puis ce jugement, c’est moi qui le porte, Louis-Adrien s’est contenté de livrer des faits et de les analyser, sans se permettre de juger (ce qui aurait été malhabile). En même temps, quand on entend qu’il faut mettre en balance l’emploi (plus politiquement correct que « le bénéfice financier ») et la nocivité d’un médicament, que penser d’autre que l’existence d’une certaine… pourriture ambiante ? Bravo à Louis-Adrien d’avoir réagi si violemment à ces propos ! Il a montré au moins que lui ne l’était pas, pourri.
Ce que j’ai trouvé également d’assez insupportable, c’est le tutoiement unilatéral. Autant j’aime bien le tutoiement bilatéral − qui enlève une certaine distance − et aussi le tutoiement unilatéral quand il est relatif à une différence d’âge s’accompagnant d’une bienveillance de l’ancien envers le plus jeune, autant je ne supporte pas le tutoiement unilatéral losrqu’il est empreint de condescendance et de mépris. Dire que certains membres du jury ont été méprisants envers le thésard n’est pas exagéré, je crois.
Pour l’anecdote, ayant eu moi-même un différent avec mon précédent patron, je lui avais adressé un courrier avec notamment ces phrases : « A propos, le tutoiement unilatéral, c’est terminé. Soit on se tutoie, soit on se vouvoie… C’est toi qui vois ! » Résultat : il a préféré le vouvoiement… et moi, je me suis senti beaucoup mieux !
Toujours sur la forme, la qualité de l’expression − orale, d’accord − du jury est plutôt médiocre. On ne parle pas du fond, de l’argumentaire, carrément minable. Vraiment, c’est du très très haut niveau ! Bravo à la Faculté…
Tout au long du texte, j’ai eu tendance à me mettre à la place − bien inconfortable − de Louis-Adrien. Quelle épreuve terrible !
Il est important que ces choses sortent de l’ombre. Merci à Dominique et Louis-Adrien pour ce sombre épisode qui va, j’en suis sûr, apporter beaucoup de lumière dans le débat sur les conflits d’intérêts.
Comment ne pas être d’accord ?
Au delà de cette concordance, je me permets de vous soumettre un commentaire qui a été fait sur le blog dont je suis le webmaster, un blog signé par le docteur Claudina Michal-Teteilbaum et qui me paraît intéressant.
A PROPOS DES CONFLITS D’INTERETS ET DE LA SIDERATION DE LA PENSEE
L’article paru sur le site de « Atoute » http://www.atoute.org/n/article234.html évoquant la soutenance de thèse de Louis Adrien Delarue m’a interpellé au sujet des conflits d’intérêt et de leurs conséquences sur la capacité à raisonner. Pendant cette soutenance, les professeurs membres du jury, présentant eux-mêmes des conflits d’intérêts et placés devant leurs propres contradictions ont tenu des propos qu’on peut qualifier d’incohérents.
Cette réaction des professeurs du jury me fait irrésistiblement penser à la désorganisation motrice décrite par Brazelton, pédiatre américain, chez les bébés arrachés à leur confort par des manipulations trop brusques de la part des adultes. Sauf que là il s’agit de désorganisation intellectuelle.
Ce pourrait être comique si ce n’était pas tragique de par les conséquences.
Je me suis demandé quel était le mécanisme psychique qui sous-tendait les conflits d’intérêts et qui pouvait mener à une telle INCAPACITE A RAISONNER qui se manifeste sur tout ce qui concerne les conflits d’intérêts eux-mêmes (DENI DES CONFLITS D’INTERETS) et aussi dans tout le champ qui est couvert par les conflits d’intérêts, c’est-à-dire le rapport bénéfice/risque des médicaments, leur utilité (amélioration du service médical rendu)etc. Et si on observe les propos tenus dans ce cas, il devient très clair que les conflits d’intérêts ont pour conséquence de rendre les personnes qui ont ces conflits d’intérêts INCOMPETENTES dans leur champ de compétence théorique (si tant est qu’elles l’étaient auparavant).
La recherche d’un maximum de confort est profondément inscrite dans notre inconscient et tout ce qui contribue au confort est recherché comme bénéfique. A l’aube de l’humanité il s’agissait de survie, de fuir les conditions adverses et de rechercher de quoi s’abriter et se nourrir. Désormais la recherche du confort, assimilée au bien-être et au bonheur est orientée selon des déterminants individuels mais aussi culturels et sociaux qui déterminent ce qui est le plus valorisé en termes d’objectifs. La recherche du confort est seulement limitée par le PRINCIPE DE REALITE, à savoir l’idée que la réalité s’oppose à ce que tous nos besoins et nos désirs soient instantanément satisfaits.
Pendant la soutenance de thèse, un professeur explique même qu’il cherche avec les laboratoires le moyen de travailler avec eux sans générer des conflits d’intérêts. Peut-on sauter par la fenêtre du dixième étage sans se faire très mal en touchant le sol ? Voilà un exemple de déni du principe de réalité, car on ne peut pas non plus travailler avec les laboratoires, en l’absence d’une régulation en amont par l’Etat, sans générer des conflits d’intérêts.
Ce que les laboratoires offrent à ceux qui veulent bien l’accepter et dans la mesure où ces personnes leur sont utiles pour atteindre leurs objectifs propres c’est quelque chose qui se rapproche plus ou moins d’un sentiment de TOUTE PUISSANCE. Cela peut passer par l’argent, les voyages, la simple reconnaissance des pairs en tant qu’autorité…
Mais nous avons, nous humains, un mécanisme d’auto-censure acquis, une entité intra-psychique, bien utile pour pouvoir vivre ensemble, qui nous permet de prendre en compte, non seulement notre propre bien être, mais aussi les éventuelles conséquences fâcheuses que notre comportement pourrait occasionner à autrui dans notre recherche effrénée de bien-être. Les psys appellent cela le SURMOI. Le surmoi est une sorte d’arbitre, voire même de juge de moralité, assimilé à une figure paternelle qui nous pose des interdits et nous pousse en permanence à rechercher le meilleur compromis entre nos désirs propres et le risque de léser autrui et à ne pas laisser libre cours à nos pulsions.
Je veux en venir là : à l’échelle de la société, le surmoi serait symboliquement l’Etat, avec son pouvoir législatif et répressif. LES CONFLITS D’INTERETS N’ACQUIERENT UN TEL NIVEAU D’EFFICACITE POUR DETOURNER LES MEDECINS DE L’INTERET DU PATIENT QUE PARCE QUE L’ETAT LES TOLERE et donc les LEGITIME et donc leur permet largement d’échapper à la censure du surmoi.
C’est pourquoi la TRANSPARENCE DES CONFLITS D’INERET N’A AUCUN SENS et ne peut qu’aggraver les choses en donnant aux conflits d’intérêts encore plus de légitimité.
Sans l’action conjointe des laboratoires et de la tolérance de l’Etat, les conflits d’intérêt seraient sans conséquence.
Pendant la soutenance de thèses, c’est l’irruption brutale de l’aspect moral qui vient rappeler aux professeurs l’existence du surmoi, et qui mène à une désorganisation de la pensée et du raisonnement alors qu’ils étaient maintenus dans le champ de la toute puissance. Admettre les conflits d’intérêts représenterait une perte de confort trop importante pour être envisagée, alors ils recherchent des échappatoires, quitte à tomber dans l’incohérence.
Dans ce contexte, le ROLE DE REGULATION DE L’ETAT ne peut pas se situer à la marge. Il consisterait à organiser l’évaluation des BESOINS et des PRIORITES réels de santé publique et à imposer aux laboratoires de s’y conformer et d’assurer un niveau de qualité suffisant des produits.
Or, c’est l’inverse qui se passe. Au nom d’une IDEOLOGIE SCIENTISTE, qui est utilisée comme prétexte, et qui considère que toute innovation constitue un progrès, l’ALLOCATION DES RESSOURCES DE SANTE NE SE FAIT PAS EN FONCTION DES BESOINS, MAIS EN FONCTION DES « INNOVATIONS » DES LABORATOIRES PHARMACEUTIQUES. La diffusion de ces innovations, qui, comme le montrait cette conférence d’une économiste, Birgitte Dormont http://conferences-cdf.revues.org/303, constitue l’essentiel de l’augmentation des dépenses de santé, est ensuite assurée grâce à un réseau de conflits d’intérêts, indépendamment de leur utilité réelle pour les patients et la santé publique.
Bonne lecture.
Comment ne pas être d’accord ? Peut-être en étant professeur de médecine, « chevalier » (ou sbire) de l’industrie pharmaceutique, politicien, gouvernant, ou même médecin de base parfaitement satisfait de lui-même et du système tel qu’il fonctionne.
Plus sérieusement, merci pour ce texte. Non seulement je suis globalement d’accord, mais j’irais même plus loin. Claudina − que je salue au passage − nous parle d’une autorité, une sorte de surmoi, qui devrait réguler. Le problème, c’est que le rapport s’est inversé : ce n’est pas le « père » qui a l’autorité. Pire, il est devenu complice en se soumettant totalement aux caprices d’un « enfant » totalement pervers et obsédé par une seule chose : gagner de l’argent. Sinon, comment expliquer qu’on puisse agir contre son propre intérêt (le remboursement de médicaments qui n’apportent rien, par exemple) ? Soit on est débile profond, soit on est corrompu. (Bien sûr, ce n’est pas l’Etat qui est corrompu. Se sont ses représentants. L’Etat, lui, se contente d’être.)
Comment pourrait-il en être autrement ? Un psychiatre a dit : ceux qui nous gouvernent sont psychologiquement les moins aptes à gouverner. Pas besoin d’ailleurs d’être psychiatre pour le deviner. Les politiciens sont à la recherche de pouvoir, ils ont un ego très développé, ils ne connaissent pas le doute ni la responsabilité (le mensonge est une grande qualité pour eux). Et quand bien même quelqu’un de motivé par l’intérêt général se présenterait − contre sa « nature » − il serait rapidement éliminé par ceux en place, malhonnêtes par essence. André Comte-Sponville disait un jour qu’on reproche aux banquiers d’aimer l’argent… mais c’est parce qu’ils aiment l’argent qu’ils sont banquiers ! On peut dire la même chose à propos des politiciens : ils aiment le pouvoir, et celui-ci ne s’obtient pas sans « dégâts collatéraux » (en particulier en s’acoquinant avec les puissants à qui il faudra renvoyer l’ascenseur), qu’ils sont capables de supporter, eux. Voilà pourquoi je pense que voter n’a aucun sens, et voilà pourquoi, pour revenir à notre propos, l’Etat ne peut pas jouer ce rôle du surmoi. On ne peut pas demander aux irresponsables qui le représentent d’être responsables.
Le système est absurde, c’est évident pour moi. Cela explique qu’un professeur tenant des propos aussi consternants (« avant de jeter un médicament nocif, il faut bien faire attention aux conséquences économiques ») ne soit pas inquiété par le système. Il reste en place. Et c’est normal : il est dans la logique du système, pourquoi serait-il puni par celui qu’il défend ? Pourquoi Bachelot est-elle toujours au gouvernement ? Pourquoi tout le foin des scandales qui se suivent ne change rien ? La bêtise ? Je ne suis pas naïf à ce point… Corruption (ou « pourriture », pour coller au verbatim de la soutenance de thèse de Louis-Adrien) me convient mieux, intellectuellement.
Laborit l’a dit assez simplement : un système hiérarchique récompense ceux qui se soumettent à lui, ce qui lui permet de se maintenir. Tant que l’humain de base n’a pas compris ça, il continuera à rechercher une récompense (un titre, un poste, une médaille, etc.) lui permettant d’obtenir une reconnaissance par le système. Cela s’appelle du formatage.
Dominique Dupagne a porté, me concernant, le diagnostic d’aliéné social. Cela aurait pu me rassurer, malheureusement (ou heureusement peut-être), il y a bien longtemps que je ne suis plus inquiet pour moi-même…
Désolé pour le désagrément probable causé par la lecture de ce texte. Je suis le premier touché par ma propre pensée (voir Médecine?). Mais il me semble que de nouvelles perspectives s’offrent à nous avec le développement de l’Internet (voir DIU de régulation).
Je ne cache pas un certain a priori favorable à la « ligne éditoriale » de ce blog, et donc, comme on me le conseillait, je suis allé lire intégralement le long interview en question. Qui m’a laissé un peu mal à l’aise, tant on ressent le traumatisme psychologique subi par ce jeune thésard. Seule la lecture complète de la thèse permettrait de se positionner objectivement vis à vis des critiques formulées, et j’avoue ne pas en avoir l’envie. Mais j’espère que cette expérience particulière de notre confraternelle profession ne réduira pas trop son enthousiasme à dénoncer les turpitudes, tout en augmentant sa capacité à flairer les mauvais coups et à bétonner la défense. La stratégie reste nécessaire à tous les combats, quelle qu’en soit la cause.
L’anticipation de la problématique bien Française du « Tu ou Vous » aurait pu faire partie de cette défense. Pour moi, il n’y a pas d’alternative à la réciprocité, quelque soit la différence d’âge, car les limites entre bienveillance, paternalisme et condescendance sont trop floues. Un professeur de chirurgie (que je n’avais encore jamais confronté) m’ayant accueilli dans « son » service par le tutoiement, je lui ai naturellement répondu au même niveau… et le lendemain il me vouvoyait. Quant aux jeunes externes qui maintenant me vouvoient de première intention, je leurs dis que malgré mon grand âge, je préférerais qu’ils me tutoient car sinon je devrai les vouvoyer et que ça m’emmerderait; en général, c’est suffisant pour les mettre à l’aise.
J’ai bien aimé la parenthèse sur les acronymes des noms et prénoms. Et si vous voulez rigoler un peu plus à ce propos, essayez de revisionner l’excellentissime sketch des Guignols « BHL Charia Express »…
Bon am