Lettre à Élise…

Élise Lucet, merci pour « Cash investigation » ! Merci à vous et à votre équipe pour cette série de reportages « décapants ». Enfin de la grande diffusion de ce qui restait marginal : la critique d’une société absurde.

J’ai pu assister à une mutation : la présentatrice de service, qui relaie une information parfois plus ou moins fabriquée, se transforme en journaliste intraitable, soucieuse d’aller au fond de ses sujets. Et quels sujets !

Je connaissais bien le problème de la fabrication de maladie (desease mongering) qui pervertit la médecine, et qui s’inclut dans un problème bien plus vaste qui est celui de la formation des médecins. Quand on sait qu’elle est essentiellement organisée par l’industrie pharmaceutique − dont le principal objectif est de vendre ses produits −, on peut s’inquiéter. Il existe quand même des mouvements qui s’en préoccupent et se battent (Formindep, Atoute, Prescrire, Pharmacritique, par exemple), mais la lutte est très largement inégale. Voire désespérée…

Les autres sujets n’ont pas été une surprise pour moi. J’avais déjà quelques idées, mais pas dans le détail, sur cette succession de scandales : l’obsolescence programmée, les paradis fiscaux, la délocalisation de la confection dans des pays pauvres où les conditions de travail sont inhumaines, le lobbying de l’industrie agroalimentaire pour imposer ses produits pas vraiment bons pour la santé, la finance spéculative optimisée par l’utilisation d’ordinateurs programmés par les meilleurs mathématiciens de la planète (ce que j’appelle, comme pour l’obsolescence programmée, l’utilisation de l’intelligence de l’humanité à ses dépens), le détournement des bonnes intentions avec le « green washing »… Bref, pas grand chose qui tourne rond dans ce « monde merveilleux des affaires », comme vous dites.

Le fil conducteur de tous vos reportages est bien le problème de l’intérêt de quelques uns contre l’intérêt de tous. Logique d’un système « libéral » qui ne s’intéresse qu’aux bénéfices à court terme, sans aucune réflexion pour les dégâts causés : pollution, mal-être, malbouffe, maltraitance, gaspillage des ressources.

Heureusement, vous nous avez présenté des lanceurs d’alerte qui paient souvent durement de leur personne pour nous donner un peu de dignité et d’espoir.

Quand je dis que je vous remercie, je dois relativiser. Parce que le problème de fond, avec vos reportages, c’est que j’en suis arrivé à me poser une question fondamentale : quel est l’intérêt de soigner des individus qu’un système rend malade, méprise, et broie sans états d’âme ? N’est-ce pas traiter uniquement les symptômes d’une maladie sans traiter la cause ?

Vous avez réveillé de vieux démons que j’avais de la peine à maitriser et que j’avais mis en mots dans Bhopal. Goût de dégoût…

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One Response to Lettre à Élise…

  1. Marc G says:

    Merci Marc pour ces réflexions pleines de bon sens .

    Je me pose également la même question : à quoi bon soigner quand tout autour de soi fait le maximum pour rendre malade tout un chacun ?
    Peut être un état d’esprit qui sort de l’ordinaire ?
    Un état d’esprit « extra-terrestre » comme le nomme certain.
    En fait, je crois que je persiste pour une sentiment égoïste : me sentir utile .
    Me retrouver tout en haut de la pyramide de Maslow ( http://fr.wikipedia.org/wiki/Pyramide_des_besoins_de_Maslow)