J’ai mangé une truite

Voilà qui est on ne peut plus banal. Oui, mais pour vous, pas pour moi. Pour moi, c’est une première. Non pas que je n’ai jamais essayé, mais je n’y étais jamais arrivé. Pour vous expliquer, je vous livre le début du contenu d’une lettre envoyée à un ex-ami :

Bon, si je comprends bien, monsieur veut discuter. Si, si, je vois bien… Non, ça ne m’embête pas, tu penses… D’abord, je voudrais te dire que tu n’es pas le seul à faire partie de la grande famille des « psy ». Moi aussi, je suis un psychopathe grave…
Je t’explique mon cas : j’ai une sorte d’aversion qui concerne un pan non négligeable de la gastronomie. Tout ce qui ressemble encore un peu à ce qu’il était de son vivant, je ne peux pas le manger. C’est, parait-il un stade à passer. Il parait que c’est normal d’avoir un petit pincement au cœur quand, enfant, on se rend compte que la petite bébête qui bougeait les oreilles en se frottant le museau (oui, le lapin), ou le gallinacé qui picorait dans la basse-cour, sont une autre manifestation de ce qui se trouve dans l’assiette (c’est juste un petit changement d’état : vivant-mort). Seulement l’humain équilibré doit pouvoir surmonter cette banalité (ou atrocité, c’est selon…). Et, comme chaque fois qu’il y a une difficulté, y en a qui ne font pas d’effort et restent sur le carreau. Qu’on me dise que le poulet c’est bon, je n’en doute pas, mais moi ça ne me renvoie qu’à du dégoût, et rien d’autre. J’arrive quand même à avoir une alimentation protéinée si je ne réfléchis pas trop. Par exemple, le jambon, c’est du jambon, c’est-à-dire un truc plat et rond qui se mange avec du beurre ou des cornichons. Il faut simplement que je sois assez distrait pour me rouler dans la farine moi-même, sinon je « psychote » et je bloque. Donc inutile de me parler d’un fragment de cadavre animal dont l’anatomie n’est que légèrement masquée par la sauce (même épaisse…)…

Revenons à hier. Comment y suis-je arrivé − et sans difficulté, en plus ? Parce que, quand même, j’avais là, parfaitement identifiable, un poisson entier dans mon assiette (avec la tête d’un coté, et la queue de l’autre… je sais, c’est normal pour vous…). Impossible de ne pas avoir conscience de ce que j’étais en train de manger. Même pas un haut-le-cœur. Ni gêne purement intellectuelle. Rien. Bon, je ne saurais pas dire si cela me plaisait ou pas. Je sais juste que la saveur n’était pas forte. J’étais déjà content d’aller jusqu’au bout sans avoir de manifestation physique, je ne pouvais pas dans le même temps avoir une ouverture d’esprit disons gastronomique…

Je me pose quand même la question du pourquoi. Pas pourquoi il m’a fallu tant d’années, mais pourquoi j’y suis arrivé. Je ne sais pas si j’ai la réponse, mais il me semble en apercevoir un petit bout. Il me semble qu’en avançant dans mes réflexions sur le monde, en partie grâce aux réflexions des autres (comme quoi, peut-être que les réflexions des autres sont plus parlantes pour moi que mes propres réflexions) je perds petit à petit toute sensibilité. Un peu comme si rien n’avait d’importance, et que je me foutais de tout. Alors, détachement de tout… pourquoi pas aussi de ce qui pourrait chatouiller mes papilles avant d’être dégluti ? (C’est curieux, d’ailleurs, comme une fois dégluti, on n’y pense plus…).

Ben, c’est tout. C’était juste pour dire que je suis peut-être arrivé, en étant le premier surpris, à devenir quelqu’un de normal… Au moins à table ! C’est cool…

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3 Responses to J’ai mangé une truite

  1. Radéchan says:

    C’est toi qui a raison, Il est normal de ne pas manger d’autres animaux car on peut sans le moindre problème de santé se passer de faire vivre puis nourrir dans des conditions carcérales ignobles des animaux qui sont nos cousins, qui allaitent leurs petits, qui les aiment, qui connaissent l’affection,l’amour maternel, la douleur, la tendresse, de leur imposer une vie entière de souffrance juste pour 5 minutes dans ton assiette, bien masquée par de la sauce, et bien cuit pour masquer le goût d’origine.
    Les animaux qui mangent d’autres animaux sans être obligées de le faire pour survivre sont, au mieux, des ignorants, au pire, des barbares ignorants ou des pervers qui se rassurent sur la valeur de leur vie en pensant à toute cette chaîne de souffrance qu’il a fallu pour obtenir un coca frites à n’importe quel heure du jour ou du jambon dans son fromage. Prendre conscience que manger d’autres animaux sans nécessité est une barbarie inutile, c’est se libérer de la moitié déjà de ce qui rend notre vie misérable.Pour en revenir à toi, tu dis, chouette, je peux avaler de la truite alors que ça me dégoutte, demain je vais pouvoir avaler de la merde directement, chouette, je vais être comme les autres ! Y’a pas de quoi être joyeux, ce dégoût, c’est ta part d’humanité qui essaie de te sauver : écoute-là !

  2. LaurenceB says:

    C’est chouette que tu puisses manger de la truite (c’est un gout fin et délicat) mais ça m’inquiète un peu pour toi que ce soit au prix de « se foutre de tout »… parce que, certes, quand on se fout de tout, on a pas de dégout, mais on a pas de « faim » non plus et du coup comment avoir envie de se mettre à table?
    Bon courage!

  3. Bonjour Marc,
    Attention quand tu emploies le mot « psychopathe ». Ce n’est pas un fou, c’est un individu profondément égoïste, insensible, amoral et dangereux. Et je ne te reconnais pas dans cette définition ;-)