J’ai peut-être visé un peu haut en voulant changer le monde (utopie). Je vais revoir mes ambitions à la baisse.
En écrivant cette utopie, j’ai abordé le sujet du serment d’Hippocrate. Examinons cette chose étrange…
C’est sûr que tel quel, dans sa version originale, il sonne un peu bizarre. Il a donc fallu enlever les références à Apollon et sa descendance, pour que l’auditoire d’une soutenance de thèse, aujourd’hui, n’éclate pas de rire au moment de la prestation de serment, si prestation il y a (il parait que c’est très à la mode…). Remarquez, moi, je ne sais pas ce que cela fait de prêter ce serment, parce que quand j’ai passé ma thèse, on ne nous le demandait pas. J’en suis ravi a posteriori parce que ça m’aurait bien ennuyé de l’avoir fait en toute ignorance de sa portée. Ou plutôt de son absence de portée, pour ce qui concerne l’aspect cohérent du sujet. Oui parce que, autant le dire tout de suite, la cohérence n’est pas la qualité première de ce serment. Et pourtant quel poids encore dans le cerveau des médecins. J’appellerais volontiers cela du formatage…
Avant de me lancer dans une diatribe sur le sujet, je me suis renseigné sur le contenant… Une parenthèse : je ne m’étais même pas donné la peine de le lire de près quand j’étais jeune médecin, parce que je savais que, de toutes façons, il serait en dessous de la valeur de ce que j’allais faire. Il faut savoir que j’étais carrément dévoué à mes frères humains, et par exemple, je ne pouvais pas aller déjeuner tant qu’il y avait du monde en salle d’attente, aux urgences (et comme il y a toujours du monde aux urgences, je finissais toujours par avoir très faim…). Jamais énervé, toujours disponible et bienveillant… qu’aurait pu m’apporter ce serment ?
Je reconnais que j’ai eu tort… Parce que cela m’aurait permis de me payer une bonne tranche de rigolade, sans attendre des années avant d’y fourrer mon nez. Enfin, quand je dis rigolade, c’est dans le sens démocritéen de la rigolade, parce que l’on pourrait en pleurer tellement c’est consternant.
Prenons juste deux choses, pour commencer : « Tu soigneras celui qui demande tes services ». Au nom de quel argument peut-on soutenir que l’on doive obligatoirement soigner quelqu’un qu’on n’a pas envie de soigner − sauf urgence vitale, évidemment ? Obliger à soigner quelqu’un pour qui on a de l’antipathie, voire de la répulsion est une absurdité (j’ai déjà développé ça dans les commentaires à propos de « utopie »…). Il ne faudrait pas oublier que le médecin n’est qu’un humain, pas un saint…
Le second point concerne les obligations de l’élève envers le maitre… Bon, déjà il faudrait qu’il y ait tout plein de maitres dignes de ce titre… Et puis, obliger des gens à respecter et en faire le serment est une double absurdité. D’abord, comment peut-on obliger quelqu’un à respecter quelqu’un d’autre ? Et puis, je peux respecter quelqu’un que je trouve respectable, mais il peut très bien ne pas le rester. Enfin, surtout, dans ce milieu des professeurs de médecine, moi qui en ai côtoyé un peu plus que la population générale, je peux dire que bien peu méritent le titre de maitre. Je peux même dire qu’il y en a pas mal qui ne mériteraient même pas le titre d’humain. En tout cas, ce que j’entends par « humain », ce n’est pas vraiment le portrait type du professeur dont les grands traits de caractère sont : arriviste, mégalomane, méprisant, orgueilleux, caractériel, avec des qualités associées : un goût prononcé pour la magouille, le sentiment de toute-puissance… sans parler de la compromission éventuelle avec l’industrie pharmaceutique dans le but de pousser un produit, même s’il n’apporte rien ou s’il est dangereux (voir insoutenable en effet). Heureusement que tous ne sont pas de cet acabit, mais ils sont assez nombreux quand même, de mon point de vue. Bref on nous demande de considérer ces gens, qui ne font généralement que transmettre un savoir qu’on leur avait transmis, comme nos propres parents ?!? Je ne suis pas contre le faire éventuellement pour qui le mérite. Mais seulement pour qui le mérite. En tout cas, ce « sentiment de filiation » − que je peux imaginer, puisque je l’ai eu… mais ne l’ai plus − ne peut pas être obligatoire et définitif, encore une fois.
Succession de poncifs (honneur, probité, etc.), de promesses intenables sinon dans une grande souffrance, de vœux pieux… Et avec le dessein évident de culpabilisation (« que je sois déshonoré et méprisé… ») − le bâton −, et d’exaltation de l’appartenance à une élite confraternelle − la carotte. (Laboritien de conviction, j’ai une aversion pour tous les systèmes fermés, comme les confréries… affichées ou cachées − voire mystérieuses… C’était une parenthèse…) La médecine n’est pas une religion, elle n’est pas tenue de promouvoir les valeurs religieuses qui magnifient le dolorisme et la soumission depuis des siècles. Enfin, c’est mon avis…
J’ai parlé de vœux pieux : par exemple, que les médecins ne se laissent « pas influencer par la soif du gain ou la recherche de la gloire » (on pourrait rayer pas mal de cartes professionnelles…), ou encore : « Je préserverai l’indépendance nécessaire à l’accomplissement de ma mission »… alors comment expliquer que le Formindep, dont c’est la raison d’être, ne regroupe qu’environ 200 adhérents (qui ne sont pas tous médecins, en plus) ?
En fait, j’ai parlé de « vœux pieux » au second degré, mais, si j’en crois Wikipedia, il faut le prendre au premier degré à l’Université de Montpellier où il est question de prêter serment « au nom de l’Être suprême »… Sans commentaires.
Quand au reste, pas besoin de serment, c’est du bon sens : la discrétion du médecin, le secret de la consultation… Sauf cas particulier, non abordé celui-là : si le secret gardé entraine un danger pour d’autres. J’ai appris que dans les pays anglo-saxons, contrairement à chez nous, l’intérêt de la communauté prévaut sur l’intérêt individuel… et je suis plutôt pour l’intérêt général, personnellement.
Mais c’est ainsi : chaque fois qu’il y a un problème épineux (euthanasie, réanimation des vieillards, etc.) il y a toujours un silence convenu, celui qui consiste à faire comme si le problème n’existait pas (voir arrêt cardiaque), ou à se réfugier derrière la déontologie pour ne surtout pas en faire un problème de société (voir les vieux).
Finalement, soigner quelqu’un qu’on n’a pas envie de soigner, n’est-ce pas de l’hypocrisie ? Respecter de force quelqu’un de pas forcément respectable, n’est-ce pas de l’hypocrisie ? Alors comment s’étonner d’entendre certains parler du « serment d’hypocrite »?
Bref, il est grand temps de remercier encore Hippocrate pour ce qu’il a fait pour la médecine, avec ses moyens, mais en laissant de côté son serment qui est, aujourd’hui, totalement illusoire − aux deux sens du terme : sans efficacité, et qui tend à tromper − (il l’était peut-être déjà de son temps, mais je ne me prononcerai pas sur son éventuel intérêt à une époque que je ne connais pas assez). Laissons-lui la paternité de la médecine occidentale, c’est déjà une belle reconnaissance historique…
En début de billet, j’ai écrit que j’allais revoir mes ambitions à la baisse. En réalité, je n’ai aucune ambition. Et je ne m’attaque à rien du tout. C’est l’extérieur qui m’agresse. Le monde m’agresse par sa façon de tourner à l’envers (voir… la plupart des autres billets de ce blog !). Je ne cherche pas à le changer, je cherche à débarrasser mon esprit de ce tourment, en écrivant.
Je suis allé voir ce serment d’Hippocrate − dont je ne pensais rien il y a encore quelques semaines − pour essayer de comprendre ce qui guide le médecin dans sa pratique. Après réflexion, j’ai essayé de comprendre quelle espèce de lumière il peut apporter, quelle aide il peut constituer. Personnellement, je trouve ce serment assez ridicule, et pourtant je n’ai jamais accepté de cadeau d’un labo (resto, dédommagements, matériel, invitations diverses, etc.) ; par contre je connais beaucoup de médecins capables de parler du serment d’Hippocrate la main sur le cœur, mais accepter d’être « acheté » (ou « vendu », ça marche aussi) à la moindre occasion (et assez fréquemment, d’ailleurs). Cela me tourmente… Pardon : cela m’a tourmenté.
Une petite remarque Hippocrate est celui qui prône le « primum non nocere » ( d’abord ne pas nuire) . Je crois que ce précepte est lui plus que d’actualité .
Tout à fait d’accord. Mais ce précepte n’est pas seulement médical. Et bien sûr il devrait être toujours d’actualité et dans tous les domaines (l’économie folle, la pollution incontrôlée, par exemple, ne sont-elles pas nocives ?)
Personnellement, et pour revenir au médical, je l’applique au-delà du soin direct au patient, à la publication scientifique (voir mon CV)…