Médecine ?

La pratique de la médecine est, dit-on, un art. Je dirais volontiers un art très difficile. Tellement difficile même que la sincérité nécessaire à une bonne pratique vient paradoxalement en empêcher la pratique elle-même. C’est la conclusion à laquelle je suis parvenu après une réflexion pour le moins douloureuse. Mon avis est qu’aujourd’hui, je ne suis en mesure de soigner personne, excepté moi-même. Il est très difficile de refaire le chemin pourtant nécessaire pour éclairer cette conclusion affligeante.

Si je devais le dire en un mot, je dirais que tout se résume à la confiance. Je ne crois pas que l’échange inter humain puisse avoir un quelconque intérêt commun s’il se fait sans confiance. L’orientation prise par la société est exactement inverse : tout est ramené à soi, tout ne se fait que dans l’intérêt personnel. Tout va dans ce sens : éloge de la compétition, de la victoire à tout prix, de la réussite. Bref, c’est le culte de l’ego, ce qui implique le mépris d’autrui.

Dans la relation médecin-malade, il ne peut pas être question de compétition. Au contraire, même, c’est l’association qui sera la condition du succès thérapeutique. Bien sûr, nous sommes victimes du système libéral qui rend malade cette association : qu’un patient puisse se retourner contre son soignant montre seulement que l’on ne peut plus accepter l’aléa de la vie. C’est normal, nous avons une grande « valeur » nous répète à longueur de journée la publicité. Il se peut, aussi, que le médecin soit un humain moyen dont le moteur soit… l’argent.

Après tout, il n’y a pas de raison qu’il échappe à ce fléau qui justifie toutes les bassesses dont l’humain est capable : il y laissera tout : sa dignité, son jugement et aussi sa vie. Il ne s’agit ici que de production effrénée, de consommation irréfléchie, de pollution − « logique » dans l’optique d’une rentabilité maximale. Rien de bien nouveau. Henri Laborit l’a déjà expliqué magistralement en décortiquant le comportement humain, l’humain étant totalement inconscient de son conditionnement.

L’argent − et la cupidité qui l’accompagne − est probablement responsable en grande partie de la décadence spirituelle de l’humanité. Il n’est plus question de dignité mais de rentabilité. Tout se justifie par la rentabilité. Des médicaments sans intérêt, voire nocifs ? Peu importe, si on peut gagner de l’argent, pourquoi ne pas les mettre sur le marché. Un peu difficile à faire passer ? Il suffit de trouver quelques « experts » un peu cupides, et la pilule passera… au moins le temps d’engranger quelques bénéfices.

On parle du problème du conflit d’intérêts. Il est absurde en soi que cela puisse exister. Il est plus absurde encore qu’il soit toléré et banalisé. Qu’un laboratoire pharmaceutique « rince » des prescripteurs est tout simplement honteux. Les prétextes scientifiques ne trompent personne. Ni les laboratoires, ni les médecins, ni la population.

Cela m’évoque le problème du dopage : tout le monde le sait, mais il ne faut surtout pas en parler. Or, c’est le cœur même du problème : quelles valeurs le sport peut-il ainsi véhiculer ? La victoire à tout prix, même celui de la tricherie ou de la mise en danger de sa propre santé ? Finalement, c’est toujours la rentabilité qui gagne : le seul intérêt du sport, c’est de vendre en faisant appel aux instincts les plus primitifs de l’homme. Belle élévation spirituelle…

Certains athlètes corrompus paient par leur santé le succès et la gloire, laissant de côté, au passage, leur dignité. Mais il n’est pas question ici de la santé de tous… Or, lorsque l’on s’intéresse à la santé publique, il n’est plus question de la même chose. Il ne s’agit pas de gagner de l’argent en divertissant avec la complicité de nos « modèles » sportifs, mais de gagner de l’argent aux dépens de la santé des Hommes. Et c’est logique : un laboratoire n’est plus fait pour trouver de nouveaux médicaments efficaces pour soigner, mais pour vendre des médicaments, car il répond à une logique financière, mercantile, et non bienfaisante pour l’humanité. Ce qui le motive, c’est sa propre santé, comptable donc, mais pas la santé de l’espèce. Il suffit de regarder les analyses de la Revue Prescrire, revue indépendante, qui par son bilan des médicaments mis sur le marché dans les six derniers mois montre à quel point le système est corrompu.

Cela ne gêne pas grand monde, finalement, car après tout, le mal est dénoncé. Mais objectivement, quel crédit peut-on honnêtement accorder à un traitement ? Ne peut-on pas douter de ce que l’on prescrit ?

Bien sûr, c’est inévitable d’avoir des doutes ; et ce que l’on demande n’est pas la connaissance absolue (et illusoire) sur un médicament, mais l’honnêteté de ceux qui l’ont analysé. Comment croire en cette honnêteté s’il y a conflit d’intérêts ?

Ce genre de problème existe aussi dans d’autres domaines, comme le domaine financier où les organismes de contrôle sont payés par les organismes contrôlés, entrainant des catastrophes mémorables (Enron, par exemple) mais non mémorisées, puisque tout a continué comme avant.

La sincérité oblige à se dire que l’information n’est pas fiable. Comment alors, pouvoir honnêtement attendre du patient qu’il ait confiance en nous ? Et comment le clinicien peut-il faire une recherche personnelle sur chaque problème (pas seulement médicamenteux) qui se pose pour chacun de ses patients ?

Le « choix éclairé » du patient, nous dit-on… Mais le médecin lui-même n’a pas d’éclairage, comment pourrait-il éclairer quelqu’un d’autre ? En fait, le seul choix que je peux faire sera un choix non éclairé. Comment pouvoir le faire pour un autre que soi-même ?

Ainsi, le seul avec qui je peux honnêtement m’engager sur une voie aussi incertaine… c’est moi-même.

Conclusion : N’ayant pas confiance dans mon savoir, c’est à dire dans celui qui m’est transmis, je me vois mal demander à d’autres de me faire confiance sur ce savoir. Je ne suis pas d’accord sur le fait de dire que c’est au médecin de se faire sa propre opinion, car c’est impossible. Il est nécessaire de pouvoir faire confiance aux autorités médicales qui ne devraient laisser planer aucun doute sur leur sérieux. Ce n’est pas le cas actuellement selon moi… Pour assainir la médecine il faudrait déjà retrouver la raison en répondant à la question suivante : peut-on laisser notre santé entre les mains du libéralisme économique ? Car son seul credo est le bénéfice financier pour certains et non l’intérêt de tous.

Note : J’ai envoyé ce texte à des confrères d’un forum médical, récemment. Je crois bien que j’ai plombé un peu l’ambiance… Mais au milieu du silence, j’ai eu aussi quelques retours très sympas !

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2 Responses to Médecine ?

  1. Pingback: Bon débarras ! |

  2. joel oosterlinck says:

    Ce commentaire sur une profession que je pratiquedepuis bientot 40 ans est lumineux, j’ai bien conscience d’avoir joué pendant trop longtemps les idiots utiles pour l’industrie pharmaceutiques. Les conditions éthiques entourant le marché du médicament ont considérablement évolué (dans le mauvais sens ) depuis la révolution Reaganienne, bien qu’elles n’aient jamais été optimales. Je crois pouvoir quand même travailler,en incluant toujours une grande part de doute dans mes décisions thérapeutiques. La premiere pensée que j’ai de façon constante devant un probleme medical est la iatrogenie, et j’ai eu plus souvent de succes en déprescrivant qu’en prescrivant