Oh, je n’en suis pas fier… Mais pas honteux non plus, à vrai dire.
Pourtant, dès que quelqu’un ose dire qu’il n’a pas voté, il déclenche une sorte de réflexe conditionné qui fonctionne presque immanquablement : « Mais il faut absolument voter, c’est un devoir… même blanc… on a la chance de pouvoir voter… y en a qui sont morts pour ça… »
Bon, je m’en fous, j’écris. Donc je n’aurai droit à ce type de remarque que quand celui qui voudra monter sur ses grands chevaux (c’est généralement sur de grands chevaux qu’on déclame ce genre « d’évidences »…) aura lu jusqu’au bout.
J’ai un mode de fonctionnement qui s’accommode mal des obligations non justifiées. En général, ça commence par une sensation plus qu’une réflexion. En gros, je sens qu’il y a quelque chose qui cloche. Du genre : bon sang, je me sens très con à faire des trucs que je ne comprends pas… comme voter, par exemple.
Logique de base : je ne comprends pas l’intérêt de voter donc je ne vote pas. Et là on redevient logique : je comprends pourquoi je ne vote pas, c’est parce que je ne comprends pas pourquoi je vote. Réfléchissez, c’est logique (j’ai déjà écrit ça dans lettre au(x) percepteur(s)).
J’ai vécu la même chose pour la vaccination contre la grippe A/H1N1 : je n’ai pas compris l’intérêt de la vaccination, je me suis abstenu. Ce n’était pas facile dans un service où il a été décidé de faire arborer un badge « Je suis vacciné » à ceux qui l’avaient fait, c’est à dire une écrasante majorité des médecins dont certains n’ont pas manqué de se montrer très désagréables envers qui ne pensait pas comme tout le monde…
Bon, je suis tolérant (moi) : celui qui sait pourquoi il vote, ben qu’il y aille. Moi je ne sais pas, donc je n’y vais pas.
Les arguments qui me sont assénés, je m’en débarrasse assez facilement :
− Y en a qui sont morts pour ça ? Beaucoup sont morts aussi pour d’autres causes (parfois opposées). Chacun est libre de donner sa vie pour ce qu’il veut sans pour autant créer des obligations pour les autres… L’argument me laisse donc indifférent.
− Voter blanc ? Ce n’est pas comptabilisé clairement, personne n’en tient compte (on pourrait même croire que ça arrange les grands partis)…
− Un devoir ? Je l’ai fait mon devoir… Oui, parce que je l’avoue, avant de ne plus voter, j’ai voté. Et pendant longtemps. D’abord pour un parti ou son représentant, puis vert (je ne sais pas si on peut parler de parti…), puis blanc. Mais je me suis rendu compte que ça n’avait aucun intérêt, sinon d’avoir l’impression de donner son avis. Des gens nous disent qu’ils vont changer les choses pour nous expliquer, une fois élus, que ce n’est pas possible (les marchés, les dettes, etc.). Autrement dit, ce n’est pas l’État qui dirige l’économie, mais l’économie qui dirige l’État. Mais vous pouvez quand même vous exprimer : ben merci, alors…
A propos de devoir civique, il me parait bien plus important de payer des impôts quand on en a les moyens. Là, par contre, personne ne trouve à redire au fait de chercher à ne pas trop participer, en payant le moins possible. Celui qui défiscalise est un petit malin, mais celui qui ne vote pas est un irresponsable… De mon point de vue, celui qui défiscalise (même si c’est légal… enfin, « légal », ça mériterait un développement) fait preuve de mépris envers ses semblables. Pour ce qui me concerne, il me parait plus utile de donner ma contribution financière au fonctionnement de la société, que mon avis pour le choix entre « la peste et le choléra »…
Depuis que je ne vote plus, je me sens moins con. C’est plus agréable comme sensation que de se sentir vraiment con.
Bon, comme je suis lancé, je vais continuer de m’expliquer… Je trouve que voter c’est jouer à un jeu de dupes. Je le sais parce que j’ai toujours deviné à l’avance le couplé gagnant : le gagnant étant le parti (ou candidat) socialiste ou celui de la droite majoritaire (UMP, RPR, UDF,…), l’autre étant alors second. Je me suis trompé une fois sur le couplé, mais pas sur le gagnant. C’était en 2002. C’était intéressant pour ceux qui prétendent que voter est l’occasion de s’exprimer sur ses idées. Ceux qui avaient voté plus à gauche que socialiste se sont mordu les doigts… Il ne leur restait plus que droite ou extrême droite au second tour ! Moi j’ai regardé ça distraitement (quand le résultat est tellement prévisible, on n’est pas inquiet…), mais je plaignais vraiment les gauchistes.
Je l’avoue, j’ai plutôt une sensibilité de gauche : je préfère le partage à la possession juste rien que pour soi (et les autres y zont qu’à crever). Je caricature, mais c’est quand même ça. Je ne vais pas reprendre ce qui a été dit bien mieux par Michel Onfray (ici) de la bouche de qui j’ai, par ailleurs, entendu cette phrase qui traduit bien ce que je pense : « Ce n’est pas qu’il y ait des gens riches qui me dérange, c’est qu’il y ait des gens pauvres ». Jusqu’à preuve du contraire, quelqu’un de droite n’en a rien à faire qu’il y ait des pauvres. C’est même ce qui le fait jouir et ce qui le motive : pour être toujours plus riche, il faut toujours plus appauvrir les autres. L’humain ? D’accord, mais après la rentabilité ! Quand on sait que la rentabilité n’est jamais assez grande… Ce qui est amusant, c’est qu’il y a aussi des gens pas vraiment riches qui sont de droite. Le truc, c’est qu’ils rêvent de la même chose. Ce qui explique que ça fait du monde, à l’arrivée.
Et les socialistes alors ? J’ai été de ceux assez naïfs en 1981 pour croire que Mitterrand allait changer la donne. Il a fait pire que la droite. Il a osé ce que la droite n’a pas osé : privatiser le bien commun à tour de bras…
Quant aux hommes politiques, j’ai une théorie qui vaut ce qu’elle vaut…
Un politicien est un homme à l’ambition personnelle démesurée, qui se fout de l’intérêt général, qui est prêt à toutes les compromissions pour arriver à son but, qui s’accoquine avec des fournisseurs de fonds nécessaires à ses campagnes (à qui il devra plus tard renvoyer l’ascenseur). C’est aussi, surtout, un menteur professionnel. Je suis toujours atterré en les écoutant faire des promesses que leur auditoire prend au sérieux. D’ailleurs, c’est ce qu’il attend, l’auditoire : des promesses, même − surtout − déraisonnables.
Ce portrait n’est pas vrai pour tous. C’est vrai uniquement pour ceux qui ont du pouvoir. Les autres sont tolérés jusqu’à ce qu’ils représentent un danger pour les premiers ; ils ont alors le choix entre 2 solutions : devenir comme eux, ou être éliminés (discrédités, par exemple). Je n’imagine même pas que les choses puissent être autrement, parce qu’il y a une logique implacable là-dessous : c’est l’intérêt privé qui domine et qui fait la « politique » en la finançant.
Pour que les choses puissent être autrement, il faudrait que l’argent ne soit plus la seule valeur qui domine largement toutes les autres. C’est pas demain la veille. Pas d’issue. Sauf, comme le disait Laborit, si une catastrophe planétaire obligeait les mentalités à changer.
Finalement, l’humanité est comme l’humain de base : c’est quand il voit sa mort en face qu’il se rend compte de ce qui est vraiment important dans la vie.
Pour résumer : voter, c’est donner du crédit − du pouvoir − à un homme politique qui s’il n’est pas encore malhonnête (comprenez : soumis à l’argent) le deviendra… ou alors disparaitra. C’est accepter et cautionner ce système. Et disons que je ne veux pas participer. C’est ce que j’ai répondu à un de mes amis qui me demandait pourquoi je ne vote pas quand même (si c’est pas pour l’un, au moins contre l’autre !)…
Dans certains pays, comme la Belgique, voter est obligatoire. Je ne suis pas tellement pour l’obligation, mais ça m’arrangerait. Pourquoi ? Parce que je serais d’accord pour payer une amende, même forte, pour exprimer mon désaccord avec cette forme de fausse démocratie. Et ne pas voter, en devenant alors un acte, aurait un sens enfin visible.
Un autre de mes amis m’a fait imaginer une représentation que je pouvais me faire de l’humanité (voir Sur fond de Révolution) : celle d’un organisme en développement. Je me suis dit que, vu sous cet angle, nous en étions probablement au stade de l’enfance : l’humanité est égoïste, immature, imprévoyante et imprévisible, irrespectueuse d’elle-même et de son environnement. Un sale gosse, quoi. Le problème est de savoir si cet être arrivera à l’âge adulte, car les dangers sont grands pour les enfants… Notamment lorsqu’ils jouent avec le feu (voir Bon débarras).
Tout cela peut paraitre bien sombre, mais je ne suis pas complètement désespéré (enfin, ça dépend des moments…), parce que je crois, comme le rameur qui attend (qui aura ?) sa revanche, que le changement ne passera évidemment pas par les structures actuellement en place d’un système verrouillé, toujours favorable aux dominants (et leurs sbires de droite ou de « gauche »).
Je pense qu’il est nécessaire, pour construire autre chose, de ne pas se raconter d’histoires. Il faut pour cela savoir remettre en question ce qui est soi-disant évident, indiscutable. Je l’ai fait pour la question de la réanimation de l’arrêt cardiaque du sujet âgé, pour la publication scientifique injustifiée, pour les certificats médicaux sans intérêt, pour les fêtes de fin d’année, le mariage, etc. Je continue… Il est probablement inutile d’écrire sur ces sujets. Mais si je ne le fais pas, alors que cela me semble nécessaire malgré tout, autant ne pas avoir de cerveau.
Ben tiens, puisqu’on parle de cerveau, justement… Henri Laborit (encore lui) nous a appris qu’un cerveau humain était fait pour imaginer. Or, tout est fait depuis la petite enfance pour ne pas favoriser l’imagination. En fait, ce qu’on demande aux individus, c’est de rentrer dans le moule. De se soumettre au formatage. Ceux que nous prenons pour les plus intelligents sont, dans notre pays, les plus diplômés. Celui qui a obtenu la meilleure note est celui qui a été capable de répondre exactement ce qu’on attendait de lui. Où est la place de l’imagination ? Nos Grandes Écoles (je ne sais pas si les majuscules sont méritées) nous ont fourni une élite incapable de résoudre le problème le plus fondamental dans une société : s’occuper de nourrir les indigents. C’est Coluche, un clown donc, qui a trouvé une solution d’attente − qui dure depuis 27 ans maintenant − avec les Restos du cœur. J’attends le jour où le vote, c’est à dire l’élection de certains parmi l’élite, résoudra enfin ce problème essentiel dans une démocratie digne de ce nom. Ce problème n’est pas qu’un exemple pris au hasard, c’est une base. Je veux bien qu’on m’explique toutes les courbes qu’on voudra quand on m’aura montré que « manger et avoir un abris » n’est plus un problème pour chacun des habitants de ce pays. Sinon quel intérêt de faire de la politique ?
J’en profite pour revenir sur ceux qui ont donné leur vie pour que nous puissions voter. J’imagine mal qu’ils l’aient fait uniquement pour que nous puissions avoir le plaisir de mettre un bulletin dans une urne une fois de temps en temps. Je veux croire qu’ils espéraient une égalité des voix pour que naisse une fraternité : que personne ne soit laissé sur le carreau. N’est-ce pas là le désir profond de la majorité des citoyens ? J’imagine que je ne suis pas seul à sentir comme une honte d’être dans un pays riche qui n’a pas résolu les problèmes de faim et d’abris pour certains d’entre nous. Pourtant, j’observe que les élections ne permettent pas d’arriver à une solution… Et ne parlons pas de l’échelle internationale : voter nous empêche-t-il de soutenir des tyrans et de commercer avec eux ? De laisser nos grandes entreprises piller les richesses des pays pauvres ? Volonté du peuple, vraiment ?
La « copie » n’est pas bonne. Il ne sert à rien de la corriger sans cesse pour toujours obtenir le même résultat. Il faut inventer autre chose…
Heureusement qu’apparaissent des champs nouveaux qui échappent à tout contrôle absolu des dominants, comme l’Internet. A mon avis, c’est de là que viendra le début d’une « maturité » humaine, c’est à dire la recherche, selon la devise des utilitaristes, du plus grand bonheur pour le plus grand nombre. Pas des urnes…
Pour finir, comme nous sommes dans la rubrique « juste pour rire », je voudrais faire un petit retour en arrière… Bien avant d’être en âge de voter, j’allais tous les dimanches à la messe où le curé nous demandait chaque semaine de prier pour la paix dans le monde. Pendant des années j’ai prié pour cela. Et puis quand j’ai pu décider par moi-même, devant le peu d’efficacité (attention, euphémisme à interpréter comme de l’ironie : il serait plus juste de parler d’inefficacité absolue) de la méthode, j’ai arrêté de prier…
J’ai hésité longuement avant de publier ce texte. La question est toujours la même : quel intérêt ? Peut-être bousculer un peu, car, comme j’en ai fait l’objet de ce site, j’essaie de publier ce qui sort d’une pensée si sûre d’elle-même et si évidente que certaines questions ne se posent même pas. Du coup, cela donne un peu de matière à (re)travailler. Bien sûr, je reste sincère − sinon quel intérêt ? − en essayant de mettre par écrit ce qui se passe dans ma petite tête d’humain de base.
J’ai voté…et je continuerai probablement à le faire…
Cher Marc,
Bravo pour cet aveu courageux. Analyser ses actes et partager sa réflexion rajoutent effectivement du sens à la vie. Je t‘ai plusieurs fois entendu dire qu’une position ne peut être que bonne ou mauvaise. C’est sans doute vrai dans l’absolu, mais dans le quotidien de notre fonctionnement cérébral, nos analyses souvent trop partielles ou trop passionnées laissent presque toujours un bon potentiel de changement à nos positions. Tu as d’ailleurs écrit: « Si je pense qu’elle est bonne, je la défends sans concessions; si on me prouve qu’elle est mauvaise, je change de position…Je le dis souvent, j’aimerais bien sur certains sujets avoir tort…»* J’ai donc une petite chance de te faire plaisir en défendant le vote car tes arguments ont fait venir les miens. Je te les présente sans réserve. Un ami, ça sert aussi à ça…
Pour commencer, je réagis comme toi aux tristes arguments qu’on t’assène. Le poncif des prétendus morts pour le droit de vote ne repose sur aucune documentation historique. Qui peut prétendre connaître l’état d’esprit exact d’un seul « mort au combat » ? Quant à l’appel au devoir, il est à la fois ridicule et dangereux. Avant d’agir, spontanément ou par devoir, il vaut toujours mieux passer ses actes au tamis de sa conscience. L’obéissance aveugle a déjà servi d’excuse a beaucoup de barbarie…
Mais ceci étant, un mauvais argument ne condamne pas une cause. Sinon il n’y en aurait plus beaucoup à défendre, car, tu l’as constaté, la liberté d’expression coûte quand même à l’humanité son pesant de conneries…
Dans le même ordre d’esprit, le paragraphe sur l’impôt ne légitime pas plus l’abstention. Je comprends ton envie de provoquer un peu ceux qui t’agressent sur le thème de l’incivisme, mais l’abstention et la défiscalisation n’ont pas grand-chose à voir. En pratique, personne ne cherche à augmenter ses impôts, en déclarant plus qu’il ne gagne ou en omettant volontairement des personnes à charge. Pas même toi, j’imagine. Et la défiscalisation, parfaitement légale et intégrée dans le processus normal de déclaration, relève de cette même logique, sans plus de machiavélisme ni de mépris. On peut penser ce qu’on veut de notre système fiscal (j’en pense surtout du mal avec un point de vue trop particulier pour le développer ici), mais son changement ne peut venir que de gouvernements qui, en démocratie, sont choisis par le vote…
En fait, assez clairement, ta position repose sur la conviction que voter est parfaitement inutile, voire même la dangereuse caution d’un système perverti: «Logique de base: je ne comprends pas l’intérêt de voter donc je ne vote pas » et «je me suis rendu compte que ça n’avait aucun intérêt.. ». Et c’est cette conviction que je n’arrive pas à partager complètement :
D’abord, condamner les élections à n’être qu’un jeu de dupe sous prétexte que l’on peut toujours «prévoir le couplé gagnant» est un peu rapide. En effet, dans toutes les démocraties, il existe un parti dominant dans chaque camp de la classique opposition « droite-gauche ». Professeur Laborit explique que cette dualité repose sur des bases neurobiologiques en exprimant les deux stratégies possibles de transmission préférentielle de leurs gènes par les mammifères sociaux: stratégie de domination individuelle ou stratégie de survie du groupe. La première favorise l’égoïsme, la compétition sans entraves, la domination; des valeurs plutôt de droite. La seconde favorise l’empathie, la solidarité, la stabilité du groupe à travers le bien de tous; des valeurs plutôt de gauche. Plus rarement, certains naviguent entre les deux stratégies (surtout dans le Béarn…)
Ensuite, dans chaque camp politique (droite et gauche), la distribution normale des caractères agrège une majorité sur un socle moyen, d’où le quasi bipartisme retrouvé dans toutes les démocraties, avec aujourd’hui en France l’UMP d’un côté et le PS de l’autre…Donc, en pratique, prévoir le couplet gagnant n’est pas très difficile, même si une surprise reste toujours possible quand un troisième parti prend de l’envergure. Mais pour revenir sur l’épisode de 2002, l’abstention particulièrement massive du premier tour (28%) a sans doute permis à Le Pen son petit 1% gagnant sur Jospin, les électeurs du FN n’étant, eux, pas du genre à bouder l’isoloir…
Par contre, au second tour, la confrontation entre le principal candidat de chaque camp est le plus souvent suffisamment incertaine pour admettre que le vote des abstentionnistes pourrait faire régulièrement la différence. Est-il pertinent de laisser le terrain libre aux idées que l’on ne partage pas? L’histoire nous rappelle que des futurs despotes ou dictateurs ont initialement accédé au pouvoir par l’intermédiaire d’un vote démocratique (Louis Napoléon, Hitler…). «Pour triompher, le mal n’a besoin que de l’inaction des gens de bien»…et tant pis si cette belle maxime vient d’un conservateur! Sous ce premier angle, le vote n’apparaît déjà donc pas sans conséquences…
Egalement discutable le discrédit jeté sur la politique, et donc le vote, sous prétexte que «la gauche, c’est comme la droite, voir pire». En 1981, nous avons vécu l’élection de Mitterrand avec un enthousiasme excessif. Nous étions encore bien naïf pour croire en l’homme providentiel, même s’il faut préciser que les privatisations ont été faites pendant les périodes de cohabitation (gouvernement Chirac en 86-88, puis Balladur en 93-95).
Ceci étant, l’histoire, de l’humanité comme celle d’une seule vie humaine, ne permet malheureusement jamais de comparer deux scénarios différents. Et quand on choisit une voie, en politique comme dans notre vie privée, on sait qu’on ne saura jamais ce qu’on a vraiment gagné ou perdu dans ce choix…D’accord, Mitterrand n’a rien révolutionné. Mais la durée d’une vie humaine n’est pas à l’échelle de l’évolution des sociétés, hormis périodes de révolutions toujours trop violentes pour être souhaitables. Car même en oubliant 1981, qui peut nous assurer que la situation aujourd’hui en France ne serait pas pire si le vote n’avait pas donné la majorité à gauche en 1877, 1902, 1936, et enfin 1945, quand la IV° République inscrivait dans son préambule « l’obligation d’assistance de la collectivité aux individus » et créait la Sécurité Sociale dont nous profitons encore…
De même, condamner tous les hommes politiques comme des personnes cyniques qui se foutent de l’intérêt général est certainement excessif. Une appréciation du même genre court sur les médecins « qui s’engraissent sur la misère humaine », pour laquelle tu conviendras sans doute qu’il peut y avoir quelques exceptions… Certes, les conditions très favorables assurées à certains mandats politiques attirent la convoitise et, quand on a goûté la bonne soupe, on cherche naturellement à rester prés de la gamelle. Mais encore faut-il être élu et le rester, et, dans cette logique intéressée que tu dénonces, l’opinion du corps électoral n’est pas sans influencer les actions des hommes politiques, particulièrement celles des plus roublards qui n’ont plus (ou jamais eu) d’idéologie propre. Cette influence du scrutin sur les politiques est particulièrement nette entre les deux tours d’une élection, quand les finalistes retaillent leurs costumes pour recruter plus large. Donc, de ce point de vue également, voter n’est probablement pas sans conséquences…
Enfin, présenter, dans le sillage de Dupagne, la révolution informatique de la communication comme l’alternative salvatrice me semble un peu illusoire. Internet est effectivement un extraordinaire moyen d’expression et d’échange qui démultiplie les capacités de dénoncer ou de promouvoir, mais il ne menacera le système actuel que quand l’évolution des consciences sera relayée par des actions concrètes dans la « vraie vie ». Et je ne vois que deux manières d’agir concrètement: par la base et par l’exemple en essayant au quotidien de mettre mon mode de vie en cohérence avec mes idées, et…par le vote en favorisant chaque fois que possible la représentation de mes opinions dans les instances dirigeantes. Et même si je n’ai jamais connu le candidat idéal, ma stratégie est devenue assez pragmatique. Au premier tour, un vote plutôt « idéologique » dans l’espoir d’influencer le positionnement des candidats dominants. Et au deuxième tour un vote blanc, ou éventuellement un vote d’élimination si la situation est vraiment trop à risque, ou si valeur symbolique particulière, comme en 2002 … avec quand même l’excuse que Chirac est mon « Guignol » préféré !
Car comme toi, « j’attends le jour où le vote, c’est à dire l’élection de certains parmi l’élite, résoudra enfin les problèmes essentiels d’une démocratie digne de ce nom ». Sauf qu’il ne me semblerait pas logique d’attendre le résultat d’une action à laquelle je refuserais de participer…Je ne pense pas qu’un vote qui exprime assez clairement à travers son choix une critique du système dominant le cautionne plus qu’une abstention. D’ailleurs au final, si je devais choisir entre le risque de ne pas faire un geste potentiellement bénéfique (pour nos enfants surtout !) et celui de n’être que le couillon de service, je mettrais ma fierté dans ma poche et je choisirais de voter. Car je ne serais pas confortable avec le fait de négliger un moyen d’action certes modeste, mais dont l’inutilité totale me semble très improbable et en tout cas impossible à démontrer. Dans le doute, je ne m’abstiendrais pas !
Voilà. Je crois avoir tout dit.
-Ah non ! J’oubliais ! Prochain scrutin dans 4 jours !
Très amicalement,
Olivier
PS (si j’ose dire) : je tiens à remercier tous ceux qui, par leur vote, ont permis l’accès au pouvoir du dernier gouvernement de gauche, lequel, en instaurant les 35h et la RTT, me laisse aujourd’hui tout le temps nécessaire à cette longue rédaction…
*(marc.accadia.free.fr/blog -lettre ouverte -à moi)
Cher Olivier,
Merci pour ce petit mot !
Une précision : quand je dis que j’attends que l’elite élue « démocratiquement » résolve les problèmes, c’est ironique, car je n’y crois pas une seconde. Ce serait déjà fait… Les problèmes seront résolus par d’autres voies, probablement encore inconnues. L’action de notre « élite », selon moi, c’est essentiellement de lutter contre la résolution des vrais problèmes (pas si durs à résoudre puisque Coluche y est arrivé, lui).
Sinon, comme toi, j’ai bien conscience que l’échelle d’une vie humaine est ridicule, et que l’évolution d’une société se fait sur du très long terme. J’ai l’impression que l’humanité n’en est même pas à la préadolescence, sans recul sur son fonctionnement. Tu as cité Laborit : il dit qu’il y a peu de chance que les choses changent tant que l’Homme n’aura pas compris comment fonctionne son cerveau, c’est à dire : en recherchant la dominance en toute inconscience de ses motivations. Qu’est-ce qui est fait pour communiquer cette connaissance ? Rien ou presque (Dupagne lui-même n’en revient pas d’être passé aussi longtemps à côté de ce qu’il pense être maintenant un auteur majeur, et pas seulement du XXè siècle…) car cela va à l’encontre de l’intérêt des dominants.
Changer le monde passe effectivement par l’action politique. Pour moi, voter n’est pas une action efficace. Tu sais à quel point je peux me mettre en avant pour défendre mes idées : opposition régulière au chef de service et à l’institution hospitalière (quand je le pense nécessaire), enseignement gratuit de l’aïkido (partage).
Bref, faire de la politique, ça se paie, ça coûte. C’est ce que je fais à chaque fin de mois où mon salaire est diminué d’au moins 500 € par rapport à ce que je devrais toucher si j’étais parfaitement soumis au système hospitalier. Ce qui m’amène au problème de l’impôt : je donne strictement ce que je dois… plus, d’une certaine manière, 500 € par mois. Mais je ne serais pas dérangé de donner plus encore si le système devenait vraiment équitable (que les riches et très riches paient aussi ce qu’ils doivent, ce qu’aucun homme politique ayant un peu de pouvoir n’est prêt à corriger : belles paroles mais rien de concret sur les paradis fiscaux, sur les niches fiscales, les contrôles, les lois).
La plupart des gens très fiers de voter se dispensent d’avoir une action concrète dans leur quotidien. J’ai pu constater combien de fois dans le service les premiers à dire haut et fort qu’il faut voter ont été les derniers (ou plus exactement n’ont pas levé le petit doigt) pour se mouiller concrètement, même lorsqu’ils pensaient que la cause était juste. C’est sûr que ce n’est pas la même chose que de faire un choix dans le secret de l’isoloir. D’une certaine manière, ils sont cohérents : en délégant ta voix à quelqu’un, tu le laisses gérer les problèmes à ta place. Pour ce qui me concerne, payer mes impôts m’autorise à avoir un avis (un droit de regard, quoi) sur le fonctionnement concret du Service Public, et de le défendre. Je crois à l’action locale, sur ce qui nous entoure directement. Il y a à faire tous les jours pour faire mieux. Pour moi, c’est cela faire de la politique (s’occuper de la structure et du fonctionnement de la vie en société − d’après la définition qui m’intéresse), pas mettre un bulletin dans une urne.
Pour les hommes politiques, comme pour les médecins, ce sont ceux qui ont du pouvoir qui sont corrompus (cause ou conséquence, peu importe). Je sais qu’il y en a qui veulent vraiment changer le monde, mais ils ne font qu’amuser la galerie car, tu l’as remarqué, ceux-là n’ont aucun pouvoir. D’ailleurs, je l’ai bien précisé dans le texte.
On dit qu’on n’est certain de l’honnêteté d’un trésorier que quand il a eu l’occasion de partir avec la caisse sans risque et qu’il ne l’a pas fait. On a vu ce qu’ont donné les régimes communistes, tellement soucieux du bien-être du peuple qu’ils ont fait pire que le capitalisme qu’ils combattaient.
Tu as raison, il y a 2 grands modes de fonctionnement : perso ou collectif. Pour le distingo droite – gauche que tu fais, je suis d’accord avec la théorie, pas avec la pratique : il me semble plus juste pour nos 2 grands partis de parler de droite dure – droite modérée…
Il ne s’agit pas de me convaincre de voter, je l’ai déjà fait. Pour les mêmes raisons que tu développes. Parce que j’y croyais comme tu y crois (c’est à dire juste un peu, à peine…). Il s’agit de me convaincre de re-voter. Et je ne suis pas convaincu. Je ne peux pas m’obliger à croire à ce qui ne me semble pas crédible.
Tant pis pour le prochain rendez-vous avec les urnes…
Cher Marc
La défense scrupuleuse de ses valeurs au quotidien est bien sûr le premier acte politique véritablement cohérent mais le vote m’en apparaît le prolongement logique et même le plus susceptible d’influencer significativement et au plus vite le cours de l’histoire. Je comprends que ce qui ne te plaît pas, c’est de « jouer avec des tricheurs» qui limitent leur action à un vote qui leur sert ensuite d’alibi de conscience pour ne pas faire plus. C’est une position que je peux comprendre, même si de mon point de vue, elle est trop passionnelle, ou pas assez pragmatique…Nous aurons sûrement l’occasion d’en reparler…et peut-être même avant le deuxième tour !
A bientôt.
Bonjour Olivier
moi aussi j ai beaucoup de temps libre (prof!)
alors je passe du temps sur internet et celà m’enrichit quand je découvre des gens qui réfléchissent
je vois que tu en fais partie et en plus tu t’exprimes avec sincérité
bravo à bientôt peut-être
zaza